Quand des groupes en pleurs baisent vos traces fieres,

Quand on s’entend crier par les murs, par les pierres,

Et jusque par les gonds du seuil de sa prison:

«Tu vas de ta memoire eclairer l’horizon;

Fantome eblouissant, tu vas dorer l’histoire,

Et, vetu de ta mort comme d’une victoire,

T’asseoir au fronton bleu des hommes immortels!»

Lorsque les echafauds ont des aspects d’autels,

Qu’on se sent admire du bourreau qui vous tue,

Que le cadavre va se relever statue,

Mourant plein de clarte, d’aube, de firmament,

D’eclat, d’honneur, de gloire, on meurt facilement!

L’homme est si vaniteux, qu’il rit a la torture

Quand c’est une royale et tragique aventure,

Quand c’est une tenaille immense qui le mord.

Quand les durs instruments d’agonie et de mort

Sortent de quelque forge inouie et geante,

Notre orgueil, oubliant la blessure beante,

Se console des clous en voyant le marteau.

Avoir une montagne auguste pour poteau,

Etre battu des flots ou battu des nuees,

Entendre l’univers plein de vagues huees

Murmurer: – Regardez ce colosse! les n?uds,

Les fers et les carcans le font plus lumineux!

C’est le vaincu Rayon, le damne Meteore!

Il a vole la foudre et derobe l’aurore! -

Etre un supplicie du gouffre illimite,

Etre un titan cloue sur une enormite,

Cela plait. On veut bien des maux qui sont sublimes;

Et l’on se dit: Souffrons, mais souffrons sur les cimes!

Eh bien, non! – Le sublime est en bas. Le grand choix,

C’est de choisir l’affront. De meme que parfois

La pourpre est deshonneur, souvent la fange est lustre.

La boue immeritee atteignant l’ame illustre,

L’opprobre, ce cachot d’ou l’aureole sort,

Le cul de basse-fosse ou nous jette le sort,

Le fond noir de l’epreuve ou le malheur nous traine,

Sont le comble eclatant de la grandeur sereine.

Et, quand, dans le supplice ou nous devons lutter,

Le lache destin va jusqu’a nous insulter,

Quand sur nous il entasse outrage, rire, blame,

Et tant de contre-sens entre le sort et l’ame

Que notre vie arrive a la difformite,

La laideur de l’epreuve en devient la beaute.

C’est Samson a Gaza, c’est Epictete a Rome;

L’abjection du sort fait la gloire de l’homme.

Plus de brume ne fait que couvrir plus d’azur.

Ce que l’homme ici-bas peut avoir de plus pur,

De plus beau, de plus noble en ce monde ou l’on pleure,

C’est chute, abaissement, misere exterieure,

Acceptes pour garder la grandeur du dedans.

Oui, tous les chiens de l’ombre autour de vous grondants,

Le blame ingrat, la haine aux fureurs coutumiere;

Oui, tomber dans la nuit quand c’est pour la lumiere,

Faire horreur, n’etre plus qu’un ulcere, indigner

L’homme heureux, et qu’on raille en vous voyant saigner,

Et qu’on marche sur vous, qu’on vous crache au visage,

Quand c’est pour la vertu, pour le vrai, pour le sage,

Pour le bien, pour l’honneur, il n’est rien de plus doux.

Quelle splendeur qu’un juste abandonne de tous,

N’ayant plus qu’un haillon dans le mal qui le mine,

Et jetant aux dedains, au deuil, a la vermine,

A sa plaie, aux douleurs, de tranquilles defis!

Meme quand Promethee est la, Job, tu suffis

Pour faire le fumier plus haut que le Caucase.

Le juste, meprise comme un ver qu’on ecrase,

M’eblouit d’autant plus que nous le blasphemons.

Ce que les froids bourreaux a faces de demons

Melent avec leur main monstrueuse et servile

A l’execution pour la rendre plus vile,

Grandit le patient au regard de l’esprit.

O croix! les deux voleurs sont deux rayons du Christ!

*

Ainsi, tous les souffrants m’ont apparu splendides,

Satisfaits, radieux, doux, souverains, candides,

Heureux, la plaie au sein, la joie au c?ur; les uns

Jetes dans la fournaise et devenant parfums,

Ceux-la jetes aux nuits et devenant aurores;

Les croyants, devores dans les cirques sonores,

Ralaient un chant, aux pieds des betes etouffes;

Les penseurs souriaient aux noirs autodafes,

Aux glaives, aux carcans, aux chemises de soufre;

Et je me suis alors ecrie: Qui donc souffre?

Pour qui donc, si le sort, o Dieu, n’est pas moqueur,

Toute cette pitie que tu m’as mise au c?ur?

Qu’en dois-je faire? a qui faut-il que je la garde?

Ou sont les malheureux? – et Dieu m’a dit: – Regarde.

*

Et j’ai vu des palais, des fetes, des festins,

Des femmes qui melaient leurs blancheurs aux satins,

Des murs hautains ayant des jaspes pour ecorces,

Des serpents d’or roules dans des colonnes torses,

Avec de vastes dais pendant aux grands plafonds;

Et j’entendais chanter: – Jouissons! triomphons! -

Et les lyres, les luths, les clairons dont le cuivre

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