Camille Desmoulins, saignant et contemplant,
Robespierre a l’?il froid, Danton aux cris superbes;
J’ai vu Jean qui parlait au desert, Malesherbes,
Egmont, Andre Chenier, reveur des purs sommets;
Et mes yeux resteront eblouis a jamais
Du sourire serein de ces tetes coupees.
Coligny, sous l’eclair farouche des epees,
Resplendissait devant mon regard eperdu.
Livide et radieux, Socrate m’a tendu
Sa coupe en me disant: – As-tu soif? bois la vie.
Huss, me voyant pleurer, m’a dit: – Est-ce d’envie?
Et Thraseas, s’ouvrant les veines dans son bain,
Chantait: – Rome est le fruit du vieux rameau sabin;
Le soleil est le fruit de ces branches funebres
Que la nuit sur nous croise et qu’on nomme tenebres,
Et la joie est le fruit du grand arbre douleur. -
Colomb, l’envahisseur des vagues, l’oiseleur
Du sombre aigle Amerique, et l’homme que Dieu mene,
Celui qui donne un monde et recoit une chaine,
Colomb aux fers criait: – Tout est bien. En avant!
Saint-Just sanglant m’a dit: – Je suis libre et vivant.
Phocion m’a jete, mourant, cette parole:
– Je crois, et je rends grace aux Dieux! – Savonarole,
Comme je m’approchais du brasier d’ou sa main
Sortait, brulee et noire et montrant le chemin,
M’a dit, en faisant signe aux flammes de se taire:
– Ne crains pas de mourir. Qu’est-ce que cette terre?
Est-ce ton corps qui fait ta joie et qui t’est cher?
La veritable vie est ou n’est plus la chair.
Ne crains pas de mourir. Creature plaintive,
Ne sens-tu pas en toi comme une aile captive?
Sous ton crane, caveau mure, ne sens-tu pas
Comme un ange enferme qui sanglote tout bas?
Qui meurt, grandit. Le corps, epoux impur de l’ame,
Plein des vils appetits d’ou nait le vice infame,
Pesant, fetide, abject, malade a tous moments,
Branlant sur sa charpente affreuse d’ossements,
Gonfle d’humeurs, couvert d’une peau qui se ride,
Souffrant le froid, le chaud, la faim, la soif aride,
Traine un ventre hideux, s’assouvit, mange et dort.
Mais il vieillit enfin, et, lorsque vient la mort,
L’ame, vers la lumiere eclatante et doree,
S’envole, de ce monstre horrible delivree. -
Une nuit que j’avais, devant mes yeux obscurs,
Un fantome de ville et des spectres de murs,
J’ai, comme au fond d’un reve ou rien n’a plus de forme,
Entendu, pres des tours d’un temple au dome enorme,
Une voix qui sortait de dessous un monceau
De blocs noirs d’ou le sang coulait en long ruisseau;
Cette voix murmurait des chants et des prieres.
C’etait le lapide qui benissait les pierres;
Etienne le martyr, qui disait: – O mon front,
Rayonne! Desormais les hommes s’aimeront;
Jesus regne. O mon Dieu, recompensez les hommes!
Ce sont eux qui nous font les elus que nous sommes.
Joie! amour! pierre a pierre, o Dieu, je vous le dis,
Mes freres m’ont jete le seuil du paradis! -
Elle etait la debout, la mere douloureuse.
L’obscurite farouche, aveugle, sourde, affreuse,
Pleurait de toutes parts autour du Golgotha.
Christ, le jour devint noir quand on vous en ota,
Et votre dernier souffle emporta la lumiere.
Elle etait la debout pres du gibet, la mere!
Et je me dis: Voila la douleur! et je vins.
– Qu’avez-vous donc, lui dis-je, entre vos doigts divins?
Alors, aux pieds du fils saignant du coup de lance,
Elle leva sa droite et l’ouvrit en silence,
Et je vis dans sa main l’etoile du matin.
Quoi! ce deuil-la, Seigneur, n’est pas meme certain!
Et la mere, qui rale au bas de la croix sombre,
Est consolee, ayant les soleils dans son ombre,
Et, tandis que ses yeux hagards pleurent du sang,
Elle sent une joie immense en se disant:
– Mon fils est Dieu! mon fils sauve la vie au monde! -
Et pourtant ou trouver plus d’epouvante immonde,
Plus d’effroi; plus d’angoisse et plus de desespoir
Que dans ce temps lugubre ou le genre humain noir,
Frissonnant du banquet autant que du martyre,
Entend pleurer Marie et Trimalcion rire!
Mais la foule s’ecrie: – Oui, sans doute, c’est beau,
Le martyre, la mort, quand c’est un grand tombeau!
Quand on est un Socrate, un Jean Huss, un Messie!
Quand on s’appelle vie, avenir, prophetie!
Quand l’encensoir s’allume au feu qui vous brula,
Quand les siecles, les temps et les peuples sont la
Qui vous dressent, parmi leurs brumes et leurs voiles,
Un cenotaphe enorme au milieu des etoiles,
Si bien que la nuit semble etre le drap du deuil,
Et que les astres sont les cierges du cercueil!
Le billot tenterait meme le plus timide
Si sa biere dormait sous une pyramide.
Quand on marche a la mort, recueillant en chemin
La benediction de tout le genre humain,