— Allons, Leonid Andreievitch, dit Hans gaiement. Prenez quand meme en consideration que ce ne sont pas les raisonnements de Camille, mais les miens. Hier j’etais en train de bronzer sur la plage ; soudain, Camille est apparu sur un rocher — vous connaissez ses manieres — et il a commence a raisonner a haute voix, s’adressant principalement aux vagues de la mer. Moi, je suis reste couche a Pecouter, et puis je me suis endormi.

— Tout le monde rit.

— Camille s’exerce, dit Gorbovski. Je vois a peu pres pourquoi il a besoin de ce schisme. Apparemment, il est preoccupe par le probleme de l’evolution de l’homme et le voila qui construit des modeles. U doit s’imaginer que la synthese des logiciens et des emotionnistes donnera un homme nouveau qui ne sera plus un homme.

Alpa soupira et cacha sa pipe.

— Les problemes, les problemes  …, dit-il. Les contradictions, la synthese, l’arriere, le front  … Vous etes- vous demande ce que nous etions nous qui sommes assis la ? Vous, vous  … lui  … moi  … Des rates. Des rebuts de la science. La science, c’est eux, la-bas, ceux qui recoivent des ulmotrons.

Il voulait ajouter encore quelque chose, mais au meme moment, le haut-parleur hurla de nouveau :

— Arc-en-ciel, Arc-en-ciel, votre attention, s’il vous plait ! Ici le directeur. Leonid Andreievitch Gorbovski, commandant du vaisseau Tariel-2, Kaneko, ingenieur de la plan-energetique, je vous prie de vous presenter immediatement a moi.

Les conducteurs emergerent aussitot de leurs vehicules. Un plaisir indescriptible s’etalait sur leurs visages. Tous, ils regardaient les faux pilotes interstellaires. Banine, rentrant sa tete dans les epaules, ouvrit les bras. Hans cria gaiement :

— Ca ne me concerne pas, je suis le navigateur !

Alpa geignit et cacha son visage derriere ses mains. Gorbovski se leva vivement.

— Il faut que j’y aille, annonca-t-il. J’ai tres envie de rester. Je n’ai pas eu le temps de dire tout ce que je voulais. En bref, voici mon point de vue. Il ne faut pas s’affliger et se tordre les mains. La vie est belle. Justement parce qu’il n’y a pas de fin aux contradictions et aux nouveaux tournants. Quant aux ennuis inevitables, j’aime beaucoup Kouprine[3], il decrit un personnage, un ivrogne complet, un buveur invetere de vodka, un malheureux. Je me souviens par c?ur de ce qu’il dit. (Il s’eclaircit la voix et cita :) « Si je me fais ecraser par un train, si mon ventre est dechire et si mes entrailles se melangent avec du sable et s’enroulent autour des roues et si, lors de cet ultime instant, on me demande : « Alors, est-elle toujours belle, la vie ? » je dirai avec une admiration reconnaissante : « Dieu qu’elle est belle ! »

Gorbovski eut un sourire gene et fourra le diffuseur dans sa poche.

— On a ecrit cela il y a trois siecles, quand l’humanite rampait encore a quatre pattes. Ne nous plaignons pas. Quant a mon conditionneur, je vous le laisse : il fait tres chaud ici.

CHAPITRE V

Matvei n’etait pas seul. Un petit homme vif aux cheveux noirs, aux yeux noirs, ressemblant a un bachelier, etait assis sur la table de Matvei, ses mains glissees sous lui, agitant les jambes. C’etait Etienne Lamondoy, la tete de physique-zero contemporaine, le « physicien rapide », comme l’appelaient ses collegues.

— Je peux ? demanda Gorbovski.

— Le voila, dit Matvei. Vous vous connaissez ?

Lamondoy sauta precipitamment de la table et, s’approchant tres pres, serra avec vigueur la main de Gorbovski, le regardant de bas en haut.

— Je suis content de vous voir, commandant, dit-il avec un gentil sourire. Nous etions justement en train de parler de vous.

Gorbovski recula et s’assit dans un fauteuil.

— Et nous, de vous, dit-il.

Etienne s’inclina vivement et regrimpa sur la table du directeur.

— Donc, je continue. Les « charybdes » se defen dent a mort. Il faut rendre justice a Malaiev : il a concu d’excellentes machines. C’est curieux que la Vague nord soit d’un type totalement nouveau. Ces gosses ont deja eu le temps de la baptiser la P-Vague ; qu’en dites-vous ? En hommage a Chota, Diable, je dois avouer que je m’arrache les cheveux ! Comment n’ai-je pas prete plus tot attention a ce magnifique phenomene ? Il me faudra m’excuser aupres d’Aristote. C’est lui qui avait raison. Lui et Camille. Je m’incline devant Camille. Deja auparavant, je m’inclinais devant lui, mais a present, je crois avoir compris ce qu’il voulait dire. A propos, vous savez que Camille est mort ?

Matvei fit un brusque mouvement de la tete.

— Encore ?

— Ah, vous etes deja au courant. Une bien etrange histoire. Il est mort et il est ressuscite. J’ai entendu parler de ces choses-la. Il n’y a rien de nouveau dans le monde. A propos, croyez-vous que Skliarov ait pu l’abandonner en pature a la Vague ? Moi pas. Donc, la Vague du nord a atteint la ceinture des stations de controle. La premiere Lu-Vague est dispersee, la deuxieme, la P-Vague, repousse les « charybdes » a la vitesse de vingt kilometres heure. Ce qui fait que les semences du nord vont vraisemblablement etre detruites malgre tout. On a ete oblige d’evacuer les biologistes par helicoptere  …

— Je sais, dit le directeur. Ils se sont plaints.

— Que faire ? Bien que leur comportement soit comprehensible, il etait, neanmoins, indigne. L’avance de la Vague sur l’ocean est stoppee. On y observe un phenomene pour lequel Lu aurait donne la moitie de sa vie : la deformation de la Vague circulaire. Cette deformation satisfait a l’equation-kappa, et si la Vague est un champ- kappa, dans ce cas tout ce qui tracassait notre pauvre Malaiev devient clair : et la D-permeabilite, et la telegenie des fontaines, et des « revenants reiteratifs »  … Nom d’un chien, au cours de ces trois heures nous en avons appris plus sur la Vague qu’en dix ans ! Matvei, veuillez noter que des que tout cela sera fini, il nous faudra un U- enregistreur, peut-etre meme deux. Considerez que j’ai depose la demande. Des calculatrices ordinaires ne nous seront d’aucun secours. Seuls les Lu-algorythmes, seule la Lu-logique pourront nous venir en aide !

— Bon, bon, dit Matvei. Et ou ca en est au sud ?

— Au sud, c’est l’ocean. En ce qui concerne le sud, vous pouvez etre tranquilles. La Vague a atteint la cote Pouchkine, a brule l’Archipel Sud et s’est arretee. J’ai l’impression qu’elle n’ira pas plus loin, et c’est tres dommage, parce que les observateurs ont detale de la-bas a une telle vitesse qu’ils ont abandonne tous les appareils, ce qui fait que nous ne savons presque rien sur la Vague du sud. (Depite, il claqua les doigts.) Je comprends, votre interet est tout autre. Mais que faire, Matvei ? Envisageons la situation d’un point de vue realiste. L’Arc-en-ciel est une planete de physiciens. C’est notre laboratoire.

Les stations energetiques ont disparu, et personne ne nous les rendra. Quand cette experience sera terminee, nous les reconstruirons a nouveau, tous ensemble.Car nousaurons besoinde beaucoup d’energie !Quant ala peche,quediable  … Les zeroistes sont moralement prets a renoncer a la soupe de calmars ! Ne nous en veuillez pas, Matvei.

— Je ne vous en veux pas, dit le directeur avec un gros soupir. Cependant, vous avez quelque chose d’un enfant, Etienne. Comme un enfant, vous cassez, enjouant, tout ce quiesttres cher auy adultes. (Ilsoupira anouveau.)Essayez de preser ver ne serait-ce que les semences du sud. Je n’ai aucune envie de perdre notre autonomie.

Lamondoy regarda sa montre, opina et, sans prononcer un mot, bondit hors du bureau. Le directeur se tourna vers Gorbovski.

— Qu’en dis-tu, Leonid ? demanda-t-il avec un triste sourire. Oui, mon vieux. Pauvre Postacheva. C’est un ange comparee a ces vandales. Quand je pense, qu’en plus de tous ces ennuis j’aurai encore le souci de recreer le systeme de ravitaillement et d’assainissement, j’en ai les cheveux qui se dressent sur la tete. (Il tira sur sa moustache.) Pourtant, d’autre part, Lamondoy a raison : l’Arc-en-ciel est effectivement une planete de physiciens. Mais que dira Kaneko, que dira Gina ?  … (Il secoua la tete et haussa les epaules.) Au fait ! Kaneko ! Ou est Kaneko ?

— Matvei, dit Gorbovski, puis-je savoir pourquoi tu m’as appele ?

Lui tournant le dos, le directeur s’occupait des touches du selecteur.

— Tu es bien ? demanda-t-il.

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