paresseux.
— Vous, je vous connais par c?ur, dit Gorbovski. Vous voudriez des conflits, que personne ne soit d’accord avec personne, que resplendissent les idees, le mieux ce serait encore une bagarre, mais ca, ce serait l’ideal … Attention ! Arretez-vous ! C’est un genre d’orties. Elles sont belles, mais font tres mal …
Il s’accroupit devant un large buisson aux grandes feuilles striees de noir. Marc dit, agace :
— Mais pourquoi prenez-vous racine, Leonid Andreievitch ? Vous n’avez jamais vu d’orties ?
— Absolument jamais. En revanche j’ai lu des choses sur elles. Vous savez quoi, Marc ? Je vais vous radier de votre poste … Vous etes devenu gate, capricieux. Vous ne savez plus apprecier une vie simple.
— Je ne sais pas ce que c’est, une vie simple, dit Marc, mais toutes ces fleurs qui riment avec bonheur, ces roses ecloses, ces petits chemins qui sentent la noisette, a mon avis, ca ne fait que pervertir. Le monde est encore insuffisamment organise, il est encore trop tot pour se laisser aller au bucolisme.
— Le monde est mal organise, ca oui, confirma Gorbovski. Seulement, il l’a toujours ete et le sera toujours. Que deviendrait la vie si elle etait impeccablement organisee ? Mais, du reste, ca va tres bien.
Vous entendez, quelqu’un chante … En depit de la m auvaise organisation …
Venant a leur rencontre, un enorme camion-atomocar surgit a toute vitesse sur la chaussee. D’immenses gaillards a moitie nus etaient assis a l’arriere sur des caisses. L’un d’eux, completement arque, plonge dans sa musique jusqu’a l’oubli total, grattait avec frenesie les cordes d’un banjo, et, tous, ils hurlaient a l’unisson :
L’atomocar passa en trombe, et la vague d’air chaud courba l’herbe un instant. Gorbovski reprit :
— Ca devrait vous plaire, Marc. A neuf heures du matin les gens sont deja debout en train de travailler. Et la chanson, vous a-t-elle plu ?
— Ce n’est pas encore ca, dit obstinement Marc.
Le sentier devia, contournant une enorme piscine en beton emplie d’eau sombre. Ils continuerent leur chemin a travers des herbes jaunatres, denses, qui atteignaient la poitrine. L’air fraichissait ; au-dessus de leurs tetes le feuillage epais des acacias formait une sorte de ciel noir.
— Marc, chuchota Gorbovski. Il y a une jeune fille qui arrive.
Marc s’arreta, petrifie. Des herbes surgit une fille brune, grande et potelee, vetue d’un short blanc et d’un blouson blanc dont les boutons etaient arraches. Non sans effort, la jeune fille tirait un cable lourd.
— Bonjour, dirent en ch?ur Gorbovski et Marc.
La fille brune tressaillit et s’arreta. La peur apparut sur son visage. Gorbovski et Marc se regarderent.
— Bonjour, mademoiselle ! rugit Marc.
La brune lacha le cable, confuse.
— Bonjour, murmura-t-elle.
— J’ai l’impression, Marc, dit Gorbovski, que nous genons.
— Pouvons-nous vous aider ? demanda Marc galamment.
La jeune fille l’observait par en dessous.
— Viperes, dit-elle soudain.
— Ou ? s’ecria Gorbovski, epouvante, et il souleva un pied.
— Des viperes, en general, expliqua la jeune fille. (Elle examina Gorbovski.) Avez-vous vu se lever le soleil ce matin ? s’enquit-elle suavement.
— Aujourd’hui, nous avons vu quatre levers de soleil, dit Marc nonchalant.
La jeune fille plissa les paupieres et rajusta ses cheveux d’un geste impeccablement calcule. Marc se presenta aussitot :
— Valkenstein, Marc.
— D-pilote interstellaire, ajouta Gorbovski.
— Ah, un D-pilote interstellaire, dit la jeune fille avec une intonation bizarre.
Elle releva le cable, fit un clin d’?il a Marc et disparut dans les herbes. Le cable bruissait sur le sentier. Gorbovski se tourna vers Marc, qui regardait dans la direction ou la jeune fille s’etait evaporee.
— Allez-y, Marc ; allez-y, dit Gorbovski. Ce ne sera que logique. Le cable est fichtrement lourd, la jeune fille est si fragile, si jolie, et vous, vous etes un pilote interstellaire tellement costaud.
Pensivement, Marc mit le pied sur le cable. Celui-ci bougea, et ils entendirent, provenant des herbes :
— Laisse filer, Semion, laisse filer !
Marc se depecha de relever le pied. Ils reprirent leur chemin.
— Une jeune fille bien etrange, dit Gorbovski. Mais mignonne ! A propos, Marc, pourquoi ne vous etes-vous quand meme pas marie ?
— Avec qui ? demanda Marc.
— Allons, allons, Marc. Arretez. Tout le monde est au courant. C’est une femme tres douce, tres gentille. Tres fine et delicate. J’ai toujours considere que vous etiez un tantinet rustaud pour elle. Mais, apparemment, elle ne partageait pas cet avis …
— Eh non, je ne me suis pas marie, dit Marc a contrec?ur. Ca ne s’est pas fait.
Le sentier les ramena de nouveau vers la chaussee. A present, de longues citernes s’etiraient sur leur gauche ; devant, etincelait au soleil la pointe argentee de l’edifice du Conseil. Pas ame qui vive.
— Elle aimait trop la musique, dit Marc. On ne peut tout de meme pas prendre sa choriole a chaque vol. Votre diffuseur nous suffit amplement. Percy ne supporte pas la musique.
— A chaque vol …, repeta Gorbovski. Le fait est, Marc, que nous sommes trop vieux. Il y a vingt ans, nous ne nous serions meme pas demande ce qui etait le plus precieux : l’amour ou l’amitie. Aujourd’hui, c’est trop tard. Aujourd’hui, nous sommes condamnes. Au demeurant, ne perdez pas espoir, Marc. Peut-etre rencontrerons-nous encore des femmes qui nous seront plus cheres que tout au monde.
— En tout cas, pas Percy, dit Marc. Deja que pour amis, il n’a que vous et moi. Quant a Percy amoureux …
Gorbovski s’imagina Percy Dickson amoureux.
— Percy aurait ete un excellent pere, avanca-t-il, indecis.
Marc fit la grimace.
— Toutefois cela aurait ete malhonnete. Un enfant n’a pas besoin d’un bon pere, mais d’un bon maitre. Tout comme un homme a besoin d’un ami. Et une femme d’un homme a aimer. Et puis, parlons plutot de roses ecloses.
La place devant l’edifice du Conseil etait vide ; seul, un aerobus grand et lourdaud stationnait a l’entree.
— J’ai envie de voir Matvei, dit Gorbovski. Venez avec moi, Marc.
— Qui est Matvei ?
— Je vais vous le presenter. Matvei Viazanitzine. Matvei Sergueievitch. Il est directeur ici. Un vieil ami a moi, un pilote interstellaire. Ancien commando. Au fait vous devez vous en souvenir, Marc. Ah non, c’etait avant.
— Eh bien, dit Marc, allons-y. Une visite de courtoisie. Mais arretez votre tam-tam. C’est genant, on est quand meme au Conseil.
Le directeur fut ravi de les voir.
— Formidable ! tonnait-il d’une voix de basse, leur offrant des fauteuils. C’est formidable que vous soyez venus ! Bravo, Leonid ! Vraiment, bravo ! Valkenstein ? Marc ? Mais bien sur, bien sur ! Seulement, pourquoi n’etes-vous pas chauve ? Leonid m’avait assure que vous etiez chauve … Ah non, il le disait de Dickson ! Il est vrai que Dickson est celebre pour sa barbe, mais cela ne signifie rien : je connais un tas de barbus chauves ! Du reste, ce sont des betises tout ca, des betises ! Il fait chaud chez nous, n’est-ce pas ? Leonid, tu manges mal, tu as le visage d’un anorexique ! On dejeune ensemble … Et en attendant, permettez-moi de vous proposer des rafraichissements. Il y a du jus d’orange, du jus de tomate, du jus de grenade … Bien de chez nous ! Ah oui ! Du vin ! Notre propre vin d’Arc-en-ciel, tu imagines, Leonid ? Alors ? Etonnant, mais il me plait … Et vous, Marc ? Je