un appetit inextinguible. A la tombee de la nuit, je m’etais eveille pour m’apercevoir que Siri avait disparu. Elle fut de retour avant le lever de lune d’Alliance-Maui. Elle me raconta que ses parents etaient partis pour quelques jours sur une barge lente avec des amis. Ils avaient laisse le glisseur familial au Site n°1. Nous nous dirigeames donc, de feu de joie en feu de joie, de bal en bal, vers le centre de la cite. Nous avions l’intention de prendre le glisseur pour gagner le domaine familial de Siri, qui se trouvait non loin de Fevarone.

Malgre l’heure tardive, la place principale du Site n°1 etait encore relativement pleine de fetards. J’etais heureux comme tout. J’avais dix-neuf ans, j’etais amoureux, et la gravite de 0,93 g a Alliance-Maui me rendait leger. J’avais l’impression de pouvoir m’envoler, si je voulais. Je me sentais capable de n’importe quel exploit.

Nous nous etions arretes devant un etal pour acheter des beignets et des gobelets de cafe fumant lorsqu’une pensee me frappa soudain.

— Comment savais-tu que j’etais Navigant ?

— Tais-toi, mon petit Merin. Mange ton frugal petit dejeuner. Quand nous serons a la villa, je nous en ferai un vrai, capable de rassasier notre faim.

— Non, serieusement, lui dis-je en m’essuyant le menton de la manche de mon costume d’Arlequin, qui commencait a ne plus etre tres propre. Ce matin, tu m’as avoue que tu savais depuis le debut d’ou je venais. Comment as-tu fait ? C’est mon accent ? Mon costume ? Mike et moi nous avons pourtant vu ici d’autres personnes habillees comme nous.

Elle rejeta ses cheveux en arriere en riant.

— Estime-toi heureux qu’il n’y ait que moi qui m’en sois apercue, Merin cheri. Si cela avait ete mon oncle Gresham ou ses amis, cela t’aurait occasionne quelques ennuis.

— Ah ? Et pourquoi ca ?

Je pris un nouveau beignet, que Siri paya. Je la suivis a travers la foule maintenant beaucoup moins dense. Malgre le mouvement et la musique autour de moi, je commencais a ressentir la fatigue.

— Ce sont des separatistes, m’expliqua Siri. Mon oncle Gresham a recemment prononce un discours devant le Conseil pour preconiser la lutte contre ceux qui veulent nous voir engloutir par ton Hegemonie. Il dit qu’il faut detruire votre porte distrans avant qu’elle ne nous detruise.

— Ah ! Et a-t-il precise comment il comptait s’y prendre ? A ma connaissance, vous n’avez meme pas de vaisseau spatial.

— C’est vrai, me dit Siri, et aucun d’entre nous n’a quitte l’atmosphere de cette planete depuis cinquante ans. Cela montre simplement a quel point les separatistes ont des idees irrationnelles.

Je hochai lentement la tete. Le Maitre-Navigant Singh et le conseiller Halmyn nous avaient mis au courant en ce qui concernait ces soi-disant separatistes d’Alliance-Maui. « L’habituelle coalition coloniale des reactionnaires et nationalistes de tout poil », avait affirme Singh. Raison de plus pour ne pas nous presser et developper le potentiel commercial de cette planete avant d’achever la porte distrans. Le Retz n’a pas besoin de voir ces culs- terreux entrer prematurement dans la danse. Et l’existence de semblables groupes est une raison supplementaire de tenir l’equipage et les equipes de construction a l’ecart des rampants.

— Ou se trouve ton glisseur ? demandai-je a Siri.

La place se vidait rapidement. La plupart des orchestres s’etaient arretes de jouer, et les musiciens rangeaient leurs instruments pour la nuit. Des groupes en costumes barioles gisaient un peu partout en tas, ronflant sur la pelouse ou sur les paves parmi les detritus et les lanternes eteintes. Seuls quelques ilots de gaiete demeuraient, des groupes qui dansaient au son d’une guitare isolee ou qui chantaient pour eux-memes d’une voix ivre et discordante. Je reperai tout de suite parmi ces joyeux drilles mon ami Mike Osho, dans son costume bigarre, sans masque, une fille a chaque bras. Il essayait d’apprendre le Hava Nagilla a un cercle d’admirateurs ravis mais totalement ineptes. Si l’un trebuchait, tous les autres tombaient. Mike les remettait sur leurs pieds en les bousculant dans l’hilarite generale, et ils recommencaient a sautiller maladroitement tandis qu’il continuait a chanter de sa voix de basse.

— Il est la, me dit Siri en montrant du doigt une courte rangee de glisseurs gares derriere la Maison Commune.

Je hochai la tete et fis un signe a Mike, mais il etait trop occupe a se cramponner a ses deux cavalieres pour faire cas de moi. Nous traversames donc rapidement la place, et nous etions deja dans l’ombre de la vieille batisse lorsqu’un cri retentit.

— Navigant de mes deux ! Retourne-toi, chien d’Hegemonien !

Je me figeai sur place, puis me retournai lentement, les poings serres, mais il n’y avait personne derriere moi. Six jeunes hommes etaient descendus d’un podium et se tenaient en demi-cercle derriere Mike. Celui qui etait le plus pres de lui etait mince et grand, d’une beaute eclatante. Il devait avoir vingt-cinq ou vingt-six ans. Ses longues boucles blondes pendaient sur un costume de soie ecarlate qui mettait son physique en valeur. Dans la main droite, il tenait une epee d’un bon metre de long, qui semblait faite en acier trempe.

Mike se retourna lentement. Meme a cette distance, je vis son regard se dessouler pour evaluer la situation. Les filles qui l’encadraient et deux ou trois personnes de son groupe se mirent a glousser comme si les mots qui venaient d’etre prononces etaient follement amusants. Mike conserva son sourire de fetard ivre pour demander :

— C’est bien a moi que vous vous adressez ainsi, monsieur ?

— C’est a toi que je m’adresse, fils de pute de l’Hegemonie, lanca le chef du groupe, dont le beau visage etait maintenant deforme par un rictus horrible.

— C’est Bertol, chuchota Siri a mon oreille. Mon cousin. Le benjamin de Gresham.

Je hochai la tete et m’avancai vers les lumieres de la place. Siri me saisit le bras.

— Vous n’avez aucune raison de parler ainsi de ma mere, fit Mike d’une voix grasse. Vous a-t-elle offense d’une quelconque maniere ? Est-ce moi qui vous ai offense ? Dans ce cas, mille pardons.

Il s’inclina si bas que les grelots de son bonnet toucherent presque le sol. Des membres de son groupe applaudirent.

— C’est ta presence qui m’offense, batard hegemonien. Ta grosse carcasse empuantit notre atmosphere.

Les sourcils de Mike se hausserent comiquement. Un jeune homme de son groupe, en costume de poisson, ecarta les bras.

— Laisse-le, Bertol. Il ne fait que…

— Ferme-la, Ferick. C’est a ce gros con que je m’adresse.

— Gros con ? repeta Mike, les sourcils plus plisses que jamais. J’ai parcouru deux cents annees-lumiere pour m’entendre traiter de gros con ? Je me demande si ca en valait la peine.

Il fit gracieusement volte-face, en se liberant des deux femmes dans le meme mouvement. Je l’aurais bien rejoint a ce moment-la, mais Siri s’accrochait a mon bras en me suppliant a voix basse. Lorsque je fus libre de mes mouvements, je vis que Mike faisait toujours l’imbecile, mais que sa main gauche s’etait glissee dans la poche de sa chemise.

— Lance-lui ton epee, Creg, ordonna sechement Bertol.

L’un des garcons de son groupe lanca a Mike une epee, pommeau devant. Il ne fit pas un mouvement pour l’attraper et la regarda impassiblement retomber dans un grand bruit sur les paves.

— Ce n’est pas possible que tu parles serieusement, fit Mike d’une voix soudain parfaitement sobre. Espece de cretin tare, tu t’imagines pour de bon que je vais me battre en duel avec toi uniquement parce que tu bandes a l’idee de te faire une gueule de heros devant tes mange-merde de copains ?

— Ramasse cette epee, glapit Bertol, ou je jure devant Dieu que je te decoupe en rondelles la ou tu es.

Il avanca de plusieurs pas rapides. Son visage etait deforme par la rage.

— Va te faire foutre, lui dit Mike.

Dans sa main gauche avait surgi le crayon laser.

— Non ! hurlai-je en courant vers la lumiere.

Ce genre de crayon etait utilise sur les chantiers par les ouvriers du batiment pour marquer les poutrelles en alliage renforce.

Les choses se passerent alors tres rapidement. Bertol fit un nouveau pas en avant, et Mike lanca vers lui le rayon vert, d’un geste presque nonchalant. Le jeune colon laissa echapper un cri et fit un bond en arriere. Une ligne noire fumante barrait en diagonale le devant de sa chemise de soie. J’hesitai. Mike avait regle la puissance

Вы читаете Hyperion
Добавить отзыв
ВСЕ ОТЗЫВЫ О КНИГЕ В ИЗБРАННОЕ

0

Вы можете отметить интересные вам фрагменты текста, которые будут доступны по уникальной ссылке в адресной строке браузера.

Отметить Добавить цитату