au minimum. Deux des amis de Bertol s’avancerent vers Mike. Il dirigea le rayon vers leurs tibias. Le premier tomba a genoux en poussant un juron. Le deuxieme battit en retraite a cloche-pied, en gemissant.

Une petite foule s’etait rassemblee. Les gens eclaterent de rire lorsque Mike ota son bonnet pour saluer en disant :

— Je vous remercie. Ma mere et moi, nous vous remercions beaucoup.

Le cousin de Siri ne contenait plus sa rage. La bave coulait sur sa levre inferieure et sur son menton. Je m’avancai a travers la foule et m’interposai entre lui et Mike.

— He ! Ca suffit comme ca, leur dis-je. On s’en va, maintenant. Au revoir tout le monde.

— Bon Dieu, Merin, tire-toi du milieu, grogna Mike.

— Ca va aller, lui dis-je en me tournant vers lui. Je suis avec une fille qui s’appelle Siri. Elle a un…

Bertol s’elanca soudain, l’epee brandie. Je lui saisis l’epaule au passage et le poussai violemment. Il tomba lourdement dans l’herbe.

— Merde, fit Mike en reculant de plusieurs pas.

Il semblait epuise et un peu ec?ure. Il s’assit sur une marche de pierre.

— Merde, repeta-t-il.

Il y avait une fine zebrure ecarlate sur le cote gauche de son costume d’Arlequin. Elle grossissait a vue d’?il, et le sang coula bientot sur le ventre rebondi de Mike Osho.

— Bon Dieu, Mike !

Je dechirai un pan de ma chemise et m’efforcai d’endiguer le flot. J’avais tout oublie des cours de secourisme qu’on nous avait fait suivre a l’ecole des Navigants. Je portai machinalement la main a mon poignet, mais mon persoc n’y etait pas. Nous avions prefere les laisser a bord du Los Angeles.

— Ca ira, Mike, murmurai-je. Ce n’est qu’une egratignure.

Le sang coulait maintenant sur ma main et sur mon poignet.

— Ca m’apprendra, grogna Mike.

Sa voix etait rauque et tendue par la douleur :

— Merde… Tu te rends compte ? haleta-t-il. Une foutue epee de merde, Merin… Embroche dans la fleur de ma jeunesse par une putain de lame sortie tout droit d’une operette de quatre sous… Merde, ca me fait mal…

— Une operette, c’est vrai, murmurai-je en changeant de main.

Le tampon etait imbibe de sang.

— Tu sais quel est ton putain… de probleme, Merin ? Tu es toujours en train… de foutre ton grain de sel… partout… Ouuiillle.

Son visage devint blanc, puis gris. Son menton retomba contre sa poitrine, puis il se mit a respirer beaucoup plus fort.

— Ca suffit comme ca, hein, gamin ? On rentre a la maison, cette fois, hein ?

Je jetai un coup d’?il par-dessus mon epaule. Bertol s’eloignait lentement avec ses copains. Le reste de la foule restait la a tourner en rond, encore sous le choc.

— Allez chercher un medecin ! leur criai-je. Faites venir de l’aide !

Deux hommes s’eloignerent dans la nuit en courant. Je ne voyais pas Siri.

— Une seconde, une seconde, fit Mike d’une voix un peu plus forte, comme s’il avait oublie quelque chose d’important. Une seconde ! repeta-t-il. Puis il mourut.

Il s’eteignit comme ca. Sur le coup. Sa bouche s’ouvrit obscenement, ses yeux se revulserent, de sorte qu’on n’en voyait plus que le blanc, et une minute plus tard le sang avait cesse de jaillir par a-coups de la blessure.

Durant quelques secondes de demence, je me mis a invectiver le ciel. Je vis passer le Los Angeles contre le fond palissant des etoiles. Je savais que si j’avais pu ramener Mike a bord en quelques minutes, ils l’auraient sauve. La foule recula tandis que je hurlais en prenant les etoiles a temoin. Finalement, je me tournai vers Bertol.

— Toi ! hurlai-je.

Il s’etait immobilise a l’autre bout de la place.

— Toi ! repetai-je.

Son visage etait livide. Il me regarda sans repondre.

Je ramassai le laser a l’endroit ou il avait roule par terre, mis la puissance au maximum et m’avancai vers l’endroit ou Bertol attendait avec ses copains.

Plus tard, a travers la brume des hurlements et de l’odeur de chair carbonisee, j’eus confusement conscience de la presence du glisseur de Siri en train de se poser au milieu de la foule hebetee. La poussiere volait partout, et la voix de Siri m’ordonnait de monter a bord. Le glisseur quitta la lumiere et la confusion de la place. Le vent froid decolla de ma nuque mes cheveux mouilles de transpiration.

— Nous allons a Fevarone, me dit Siri. Bertol etait ivre. Les separatistes sont des gens dangereux, mais minoritaires. Il n’y aura pas de represailles contre toi. Tu resteras chez moi jusqu’a ce que le Conseil ouvre une enquete.

— Non, lui dis-je d’une voix ferme en designant un promontoire non loin de la ville. Tu vas te poser la.

Elle protesta, mais finit par obeir. Je jetai un coup d’?il au rocher pour etre sur que le sac a dos etait bien la, puis je descendis du glisseur. Siri se pencha sur le siege et attira mon visage contre le sien.

— Mon amour… Merin.

Ses levres etaient chaudes et ouvertes, mais je ne ressentis rien. Tout mon corps etait comme anesthesie. Je m’arrachai a son etreinte et lui fis signe de decoller. Elle repoussa ses cheveux en arriere. Ses yeux verts etaient pleins de larmes. Le glisseur decolla, s’inclina pour virer puis s’eloigna vers le sud dans la lumiere naissante du matin.

Une seconde, avais-je envie de crier. Je m’assis au bord d’un rocher et m’entourai les genoux de mes deux bras en laissant echapper un chapelet de sanglots. Puis je me relevai et lancai le laser au loin dans la mer qui grondait au pied du promontoire. Je retournai le sac a dos pour en vider le contenu sur le sol.

Le tapis hawking avait disparu.

Je m’assis de nouveau, trop vide pour pleurer ou rire ou m’eloigner. Le soleil se leva pendant que je me morfondais dans la meme position. Je n’avais toujours pas bouge, trois heures plus tard, lorsque le gros glisseur tout noir de la police du Los Angeles se posa silencieusement a proximite du promontoire.

— Papa ! Il commence a se faire tard, papa !

Je me retourne pour voir Donel, mon fils, debout derriere moi. Il porte la robe bleu et or du Conseil de l’Hegemonie. Son crane chauve est congestionne et baigne de transpiration. Donel n’a que quarante-trois ans, mais j’ai toujours l’impression qu’il est beaucoup plus age que ca.

— Je t’en prie, papa, me dit-il.

Je hoche la tete et je me releve, en secouant les brindilles et la terre de mes vetements. Nous marchons ensemble vers le tombeau. La foule s’est maintenant rapprochee. Le gravier crisse sous les semelles des spectateurs impatients.

— Veux-tu que j’entre avec toi, papa ? me demande Donel.

Je me tourne vers cet etranger grisonnant qui est mon fils. Il n’a presque rien de Siri ni de moi dans son aspect physique. Son visage est avenant, congestionne, rempli d’excitation par cette journee peu commune. Je sens en lui la sincerite pleine de candeur qui tient souvent lieu d’intelligence chez certaines personnes. Je ne peux pas m’empecher de faire la comparaison entre ce petit homme au crane degarni et Alon aux boucles noires, Alon le taciturne au sourire sardonique. Mais Alon est mort depuis trente-trois ans, fauche par une mort stupide dans un combat qui n’avait rien a voir avec lui.

— Inutile, lui dis-je. J’irai tout seul. Merci, Donel.

Il hoche la tete et fait un pas en arriere. Les oriflammes claquent au-dessus de la foule tendue. Je reporte mon attention sur le tombeau.

L’entree est verrouillee par une serrure palmaire. Je n’ai qu’a y poser la main.

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