La fureur et la perplexite me gagnent en meme temps.

— On m’a juste fait venir ici des que j’ai debarque, en me disant que je devais visiter son tombeau avant l’inauguration de la porte. Qu’est-ce qu’il aurait fallu qu’on me dise, Donel ?

— Ma mere a ete incineree, conformement a ses instructions. Ses cendres ont ete disseminees dans la Grande Mer du Sud, depuis la plus haute plate-forme de l’ile familiale.

— Mais alors, pourquoi cette… crypte ?

Il faut que je fasse attention a ce que je dis. Donel est un etre sensible. Il s’essuie de nouveau le front et regarde en direction de l’entree. La foule ne peut pas nous voir, mais nous avons beaucoup de retard sur l’horaire. Deja, les autres membres du Conseil ont ete obliges de redescendre en hate pour rejoindre les dignitaires sur le podium. Mon chagrin d’aujourd’hui n’a pas seulement degenere en contretemps officiel, il s’est transforme egalement en melodrame.

— Ma mere a laisse des instructions precises, m’explique Donel. Elles ont ete respectees a la lettre.

Il effleure une dalle de la paroi interieure, et elle pivote pour devoiler une niche dans laquelle se trouve un coffret de metal avec mon nom dessus.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Des objets personnels qu’elle a laisses a ton intention, murmure mon fils en secouant la tete. Seule la vieille Magritte en savait plus, mais elle est morte l’hiver dernier sans rien confier a personne.

— Tres bien. Je te remercie. Je vous rejoins dans un moment.

Il consulte sa montre.

— La ceremonie commence dans huit minutes. La porte distrans sera activee dans vingt minutes.

— Je sais. Je ne vous demande qu’un petit moment.

Il hesite, puis sort. Je referme la porte derriere lui en plaquant la paume de ma main sur la serrure. Je souleve le coffret. Il est etonnamment lourd pour sa petite taille. Je le pose sur les dalles de pierre et m’accroupis devant lui. Une serrure palmaire miniature me permet de l’ouvrir dans un declic. Je me penche pour en regarder le contenu.

— Merde alors !

L’exclamation a voix basse m’a echappe. Je ne sais pas a quoi je m’attendais, en fait. Peut-etre des souvenirs nostalgiques des cent trois jours que nous avons passes ensemble au total. Peut-etre une fleur sechee offerte et oubliee depuis longtemps, ou l’un des coquillages que nous allions chercher ensemble sur les fonds sous-marins au large de Fevarone. Mais ce n’est pas du tout cela.

Le coffret contient un petit laser Steiner-Ginn, l’une des armes rayonnantes les plus puissantes fabriquees a ce jour. Son accumulateur est relie par un fil a une petite cellule de fusion que Siri a du prelever sur son submersible personnel. Egalement relie a la cellule d’alimentation, il y a un antique persoc a circuits imprimes et a affichage a cristaux liquides. L’indicateur de charge est au vert.

Il y a deux autres objets dans le coffret. Le medaillon traducteur que nous avons utilise pour parler aux dauphins il n’y a pas si longtemps pour moi, et une chose qui me laisse litteralement bouche bee de stupeur.

— Petite coquine…

Les choses se mettent en place dans mon esprit. Je ne peux pas m’empecher de sourire. Je murmure de nouveau :

— Chere petite coquine…

Roule avec soin selon les regles de l’art, son fil d’alimentation correctement branche, le tapis hawking que Mike Osho a paye trente marks sur la place du marche de Carvnel est pret a s’envoler. Je le laisse au fond du coffret, je defais la connexion d’alimentation du persoc et je m’assois en tailleur sur le sol pour activer le disque. La lumiere de la crypte palit, et Siri se dresse soudain devant moi.

Ils ne m’ont pas chasse du vaisseau lorsque Mike est mort. Ils auraient pu, mais ils ne l’ont pas fait. Ils auraient pu me laisser aux mains de la justice locale d’Alliance-Maui. Ils ont prefere eviter cela. Deux jours durant, la Securite du vaisseau m’a questionne. Une fois, meme, c’est le Maitre-Navigant Singh en personne qui est venu m’interroger. Puis ils m’ont laisse reprendre mon poste. Pendant les quatre longs mois qu’a dure le voyage de retour, le souvenir de Mike et de son assassinat n’ont pas cesse de me torturer l’esprit. Je savais, confusement, que j’etais en partie responsable de ce crime. Je continuais de prendre mes quarts, de me reveiller au milieu de la nuit couvert de transpiration et de me demander s’ils allaient annuler mon contrat a notre arrivee dans le Retz. Ils auraient pu me le dire tout de suite, mais ils prefererent ne pas le faire.

Mon contrat ne fut pas revoque. On me laissa mes permissions dans le Retz, mais je n’eus plus le droit de passer mes periodes de repos sur Alliance-Maui tant que nous etions dans le systeme. De plus, je recus un blame officiel et fus l’objet d’une retrogradation temporaire. Voila ce qu’il restait de Mike. Un blame et une retrogradation.

Je pris mes trois semaines de permission en meme temps que le reste de l’equipage. Mais, contrairement aux autres, je n’avais pas l’intention de retourner a bord. Je me distransportai sur Esperance et commis l’erreur classique des Navigants en essayant de rendre visite a ma famille. Deux jours dans l’atmosphere surpeuplee du dome residentiel me suffirent. Je me rendis sur Lusus, ou je frequentai pendant trois jours les putains de la rue des Chattes. Lorsque j’en eus assez, je me distransportai sur Fuji, ou je depensai la plupart de mes marks disponibles en paris sur les combats sanglants de samourais qui sont la specialite locale.

En fin de compte, je decidai d’aller sur la station du Systeme Central, d’ou je pris la navette des pelerins qui me conduisit en deux jours au Bassin de Hellas. C’etait la premiere fois que je visitais le Systeme Central et que je mettais les pieds sur Mars. Je n’ai d’ailleurs pas la moindre intention d’y retourner jamais. Mais les dix jours que j’y ai passes, tout seul, a errer dans les corridors poussiereux et hantes du monastere, ont servi a me faire regagner le vaisseau. Et Siri.

Regulierement, je quittais le dedale de pierre rouge du megalithe et, vetu de la combinaison et du masque, je grimpais sur l’un des innombrables observatoires de pierre pour y contempler longuement le ciel et l’astre gris pale qui fut jadis la Terre. Quelquefois, je pensais aux vaillants et stupides idealistes qui s’etaient lances dans les immensites tenebreuses a bord de leurs precaires et lents vaisseaux charges d’embryons et d’ideologies qu’ils transportaient avec un soin qui n’avait que leur foi d’egale. La plupart du temps, cependant, je n’essayais pas de penser a quoi que ce soit. Je restais immobile dans la nuit aux reflets pourpres, et je laissais Siri venir a moi. Du haut de la Roche Maitresse, ou tant de pelerins beaucoup plus dignes que moi avaient cherche en vain le satori, j’atteignis cet etat grace au souvenir d’une femme-enfant qui n’avait pas encore seize ans, etendue nue a mes cotes tandis que la lune diffusait sa pale clarte sur son corps a travers les ailes deployees d’un pervier.

Lorsque le Los Angeles accomplit son nouveau saut quantique, j’etais encore a son bord. Quatre mois plus tard, j’accomplis mon travail avec l’equipe de construction et j’occupai mes periodes de repos a dormir ou a me brancher sur mes stimsims preferees. Puis, un jour, Singh vint me dire :

— Vous pouvez descendre.

Je ne compris pas.

— Durant les onze ans qui se sont ecoules depuis votre lamentable histoire avec Osho, m’expliqua-t-il, les rampants ont transforme votre escapade en une foutue legende. Ils ont bati un veritable mythe culturel autour de votre partie de jambes en l’air avec cette petite coloniale.

— Siri… murmurai-je.

— Preparez vos affaires, me dit Singh. Vous allez passer vos trois semaines a terre. Les specialistes de l’ambassade disent que vous ferez plus de bien a l’Hegemonie en allant la-bas qu’en restant a bord de ce vaisseau. Nous verrons bien s’ils ont raison.

La planete entiere m’attendait. Les foules hurlaient. Siri faisait de grands signes. Nous quittames le port a bord d’un catamaran jaune pour mettre le cap au sud-sud-ouest, vers l’archipel Equatorial et l’ile familiale de Siri.

— Salut, Merin.

Siri flotte dans les semi-tenebres de son tombeau. L’enregistrement holo n’est pas parfait, il y a une zone de flou sur les bords. Mais c’est bien Siri qui est devant moi, Siri telle que je l’ai vue pour la derniere fois avec ses cheveux gris presque ras, la tete droite, le visage rendu anguleux par les ombres.

— Salut, Merin, mon amour.

— Salut, Siri, lui dis-je.

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