pochette en abeste autour du cou.

« Les piquets de metal continuaient de conduire le courant, meme quand… C’etait quelque chose que je sentais… que je pouvais voir sous mes yeux… parcourant ce qu’il restait du corps…

« Ce corps avait encore l’aspect de Paul Dure… Tres important… Je l’ai bien explique a Monseigneur… Plus d’epiderme… La chair a vif, ou carbonisee… Les nerfs et le reste, visibles… comme un reseau de capillaires gris ou jaunes… Seigneur, quelle puanteur ! Mais cela avait encore l’aspect de Paul Dure !

« J’ai tout compris, a ce moment-la. Meme avant de lire son journal. J’ai compris qu’il etait reste cloue la… sept annees entieres… O mon Dieu ! Mourant… Ressuscitant… Force a vivre par le cruciforme… Traverse a chaque seconde de ces sept annees par des decharges electriques… Livre aux flammes… a la douleur… a la faim… tandis que ce maudit… cruciforme… devait puiser, pour le nourrir… ou ce qu’il restait de lui… la substance de l’arbre… de l’air, peut-etre… reconstituant tout ce qui pouvait l’etre… le forcant a sentir la douleur, encore et encore et encore…

« Mais il a fini par gagner… La souffrance etait son alliee… Doux Jesus ! Au lieu de quelques heures cloue a l’arbre, un coup de lance et puis le repos… il est reste ainsi sept ans ! Mais… il a gagne. Lorsque j’ai retire la pochette, le cruciforme est tombe… Il s’est detache, simplement, avec ses longues racines couleur de sang… Puis la chose… la chose dont j’etais sur qu’il s’agissait d’un cadavre… l’homme a leve la tete. Ses yeux blancs etaient sans paupieres… Il n’avait plus de levres… Mais il m’a regarde, et il a souri… Puis il est mort, reellement mort… dans mes bras. Pour la dix millieme fois, peut-etre… mais c’etait la bonne… Il m’a souri et il est mort.

Hoyt se tut, communiant en silence avec sa propre souffrance, puis continua, serrant les dents entre chaque bribe de phrase :

— Les Bikuras m’ont… ramene a la Faille… Orlandi est arrive… le lendemain… Il m’a libere… avec Semfa… Je n’ai pas… Il a detruit le village au laser… brule les Bikuras sur place… Ils nous regardaient avec leurs yeux… de moutons hebetes… Je n’ai pas… essaye de m’interposer… Je riais aux eclats ! Pardonne-moi, o mon Dieu ! Orlandi a tout nettoye… avec des charges creuses… nucleaires… habituellement utilisees pour… defricher la jungle… autour des matrices de fibroplastes.

Hoyt regarda le consul dans les yeux, en esquissant un geste maladroit de la main droite.

— Les analgesiques faisaient de l’effet, au debut… Mais chaque annee… chaque annee qui passait… c’etait pire. Meme en etat de fugue… Cette douleur ! Je n’aurais pu rester ainsi, de toute maniere… Comment a-t-il pu… pendant sept ans ! Mon Dieu !

Le pere Hoyt agrippa la moquette d’une main. Le consul le retint au moment ou il allait s’ecrouler et lui fit l’injection, rapidement, au-dessous de l’aisselle, vidant toute l’ampoule d’ultramorphine. Puis il le laissa doucement retomber, inanime, dans l’herbe verte. Sa vision etait trouble. Il ecarta rapidement la chemise trempee du pretre. C’etait bien la, comme il s’y attendait. Incruste dans la peau bleme et lisse de son torse, un bourrelet vermeil ressortait comme une espece de gros ver en forme de croix. Le consul retint sa respiration et retourna le pretre sur le ventre. Le second cruciforme etait la, lui aussi, un peu plus petit, serti entre les omoplates. Il sembla vibrer d’une legere pulsation lorsque le consul passa le doigt sur la crete de chair boursouflee.

Sans perdre de temps, il rassembla les affaires du pretre et remit un peu d’ordre dans la piece. Puis il habilla le pere Hoyt avec autant de douceur et de menagements que s’il s’agissait du corps d’un defunt tres proche.

Son persoc bourdonna a ce moment-la.

— Il est l’heure de partir, fit la voix du colonel Kassad.

— Nous arrivons, repondit le consul.

Il programma le persoc pour qu’il fasse enlever les bagages par les clones d’equipage, mais porta le pretre lui-meme. Le malheureux ne pesait pas plus lourd qu’une plume.

Le diaphragme de la nacelle s’ouvrit et il sortit, quittant la penombre des frondaisons pour s’avancer vers l’eclat bleu-vert de la planete qui occupait maintenant la presque totalite du ciel. Tout en cherchant ce qu’il allait dire aux autres, il s’arreta quelques secondes pour regarder le visage de l’homme assoupi. Puis il leva les yeux vers Hyperion, et continua son chemin. Meme si la gravite avait ete celle de la Terre, il savait que le pretre n’aurait pas pese beaucoup plus lourd dans ses bras.

Il avait eu un fils, naguere, qui etait mort. Et en portant Hoyt, il connut de nouveau la sensation de conduire un fils endormi dans son lit.

2

La journee a Keats, capitale d’Hyperion, avait ete chaude et pluvieuse. Meme apres l’orage, un tapis de sombres nuages continuait de flotter au-dessus de la ville, emplissant l’air de l’odeur salee de l’ocean qui se trouvait a vingt kilometres a l’ouest. Le soir venu, tandis que la grisaille du jour faisait place au gris du crepuscule, un double bang secoua la ville, se reverberant sur le pic montagneux solitaire dont la silhouette dentelee se dressait au sud. Les nuages avaient pris un eclat bleu nacre. Trente secondes plus tard, un vaisseau couleur d’ebene perca la couverture de nuages et descendit doucement sur son panache de flammes de fusion, ses feux de navigation lancant leurs eclats rouges et verts dans le ciel plombe.

A mille metres, les projecteurs d’atterrissage du vaisseau s’allumerent, et trois faisceaux de lumiere coherente, montant de l’astroport au nord de la ville, verrouillerent l’appareil sur un trepied de bienvenue vermeil. Le vaisseau tomba lentement jusqu’a trois cents metres du sol, puis se deplaca lateralement, avec la surete d’une chope qui glisse sur un comptoir mouille, jusqu’a ce qu’il arrive au niveau de la fosse de refroidissement qui l’attendait.

Des jets a haute pression arroserent la fosse et la base du vaisseau, faisant surgir des geysers de vapeur qui se melerent aux rideaux de pluie fine balayant la plaine de bitume de l’astroport. Lorsque tout fut fini, le silence retomba, a l’exception du bruissement de la pluie et des cliquetis et craquements espaces du vaisseau en train de refroidir.

Un balcon sortit d’une coupee dans la muraille, trente metres au-dessus de la fosse. Cinq silhouettes s’avancerent.

— Merci pour la promenade, fit le colonel Kassad en se tournant vers le consul.

Celui-ci hocha distraitement la tete et s’appuya a la rambarde, en respirant l’air frais a grandes goulees. Des gouttelettes de pluie ruisselerent sur sa barbe et sur ses sourcils.

Sol Weintraub souleva le bebe de son panier. L’enfant avait ete reveillee, sans doute par le changement de temperature et de pression, ou par les bruits, les odeurs et les mouvements differents. Elle se mit a brailler. Il la berca et lui parla doucement, mais les glapissements continuerent.

— Voila une musique de circonstance pour celebrer notre arrivee, declara Martin Silenus.

Le poete portait une longue cape mauve et un beret grenat incline sur son epaule droite. Il but une gorgee du vin qu’il avait apporte avec lui du salon.

— Jesus a bequilles, cet endroit a vraiment change ! s’ecria-t-il.

Le consul, qui n’avait quitte Hyperion que depuis huit annees locales, devait en convenir. Le port spatial se trouvait alors a neuf kilometres des premiers faubourgs de la ville. Aujourd’hui, il etait entoure de cabanes en bois, de tentes et de rues boueuses. De son temps, il n’y avait pas plus d’une arrivee par semaine, alors qu’il comptait aujourd’hui plus d’une vingtaine de vaisseaux sur le terrain. Le minuscule batiment de douane et d’administration avait ete remplace par une enorme batisse en prefabrique. Une douzaine de fosses et de grilles destinees aux vaisseaux de descente avaient ete ajoutees, un peu n’importe comment, a l’ouest, et les installations etaient partout encombrees de modules baches sous une toile de camouflage, qui pouvaient servir ; le consul le savait, aussi bien de station de commandement au sol que de baraquement. Une foret d’antennes exotiques se dressait vers le ciel a partir d’un groupe de ces modules a une extremite du terre-plein.

— Le progres, murmura le consul.

— La guerre, fit le colonel Kassad.

— Mais ce sont des gens qu’il y a la-bas ! s’exclama Brawne Lamia, pointant l’index en direction des portes du terminal principal, a l’extremite sud du terrain.

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