ecrit depuis huit mille ans. Parlez-moi d’elle. Les enfants ne meurent plus de maladie, aujourd’hui. Pas dans le Retz.
Sol se leva, un sourire aux levres, et fit un pas en arriere pour liberer son bras.
— J’aimerais bien bavarder encore un peu avec vous, Mortie, sincerement, dit-il. Mais il faut que je rentre. J’ai un cours dans la soiree.
— Viendrez-vous au temple pour le sabbat ? demanda le rabbin en lui tendant ses doigts courts pour un dernier contact humain.
Sol deposa la kippa dans le creux de sa main.
— Un de ces jours, peut-etre, dit-il. Je viendrai un de ces jours, Mortie.
Vers la fin du meme automne, Sol vit un jour, en regardant par la fenetre de son bureau, la silhouette sombre d’un homme qui se tenait au pied de l’orme aux branches nues devant la maison. Les medias, se dit-il avec un serrement de c?ur. Depuis dix ans, il apprehendait le moment ou leur secret serait decouvert et ou leur vie secrete a Crawford prendrait fin. Il sortit, dans l’air glace du soir, et reconnut aussitot le visage de l’homme.
— Melio ! s’ecria-t-il.
L’archeologue avait les mains dans les poches de sa longue vareuse bleu marine. Malgre les dix annees qui s’etaient ecoulees depuis leur derniere rencontre, Arundez n’avait pas tellement vieilli. Il devait avoir un peu moins de trente ans, se disait Sol. Mais son visage hale par le soleil etait sillonne de rides de tourment. Il lui serra la main, presque timidement.
— Sol !
— Je ne savais pas que vous etiez de retour. Entrez donc.
— Non, fit l’archeologue en reculant d’un pas. Il y a une heure que je suis devant votre porte, Sol. Je n’ai pas eu le courage de venir frapper.
Sol ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais se contenta de hocher la tete. Il mit, lui aussi, les mains dans ses poches, a cause du froid. Les premieres etoiles apparaissaient au-dessus des pignons noirs de la maison.
— Rachel est sortie, dit-il finalement. Elle est allee a la bibliotheque. Elle croit… Elle croit qu’elle a un devoir d’histoire a rendre.
Melio prit une inspiration penible et hocha la tete a son tour.
— Sol, dit-il d’une voix rauque, il faut que vous compreniez, Sarai et vous, que nous avons vraiment fait tout ce que nous avons pu. Nous sommes restes pres de trois ans sur Hyperion, toute l’equipe. Nous serions restes davantage si l’universite ne nous avait pas coupe les vivres. Nous n’avons
— Je sais, murmura Sol. Nous vous remercions de nous avoir envoye ces messages distrans.
— J’ai moi-meme passe des mois entiers a l’interieur du Sphinx, reprit Melio. D’apres les instruments, il ne s’agissait que de pierre inerte, mais a certains moments j’ai eu l’impression que
Il secoua de nouveau la tete.
— Je lui ai failli, Sol.
— Ne dites pas cela, fit Sol en agrippant l’epaule du jeune homme a travers sa vareuse. Mais j’ai une question a vous poser. Nous avons contacte les senateurs qui nous representent, et meme les plus hauts responsables du Conseil des Sciences… Personne n’a pu nous expliquer pourquoi l’Hegemonie n’a pas consacre plus de temps et d’argent a enqueter sur les phenomenes qui se sont produits sur Hyperion. Il me semble que le Retz aurait du depuis longtemps coloniser ce monde, ne serait-ce que pour le potentiel scientifique qu’il represente. Comment une enigme aussi mysterieuse que les Tombeaux du Temps a-t-elle pu demeurer ignoree si longtemps ?
— Je comprends tres bien ce que vous voulez dire, Sol. Meme l’arret des credits de l’universite nous a paru suspect. Tout se passe comme si l’Hegemonie avait pour politique deliberee d’eviter tout ce qui touche a Hyperion.
— Vous croyez que…
Sol fut interrompu par Rachel, qui s’approchait d’eux dans la lumiere automnale du soir. Elle avait les mains profondement enfoncees dans son blazer rouge, ses cheveux etaient coupes court dans l’ancien style des adolescents d’un peu partout, et ses joues rebondies etaient rouges sous le froid mordant. Elle etait, en fait, a la frontiere de l’enfance et de l’adolescence, avec ses longues jambes cachees par des jeans, ses tennis et son blazer qui aurait pu la faire passer de loin pour un garcon. Elle leur sourit en les apercevant.
— Salut, p’pa, dit-elle en s’approchant dans la penombre, inclinant timidement la tete a l’intention de Melio. Excusez-moi, je ne voulais pas interrompre votre conversation.
Sol prit une profonde inspiration.
— Ce n’est pas grave, ma petite fille, dit-il. Rachel, je te presente le professeur Arundez, de l’universite de Reichs, sur Freeholm. Professeur Arundez, ma fille, Rachel.
— Tres heureuse de faire votre connaissance, fit Rachel, veritablement rayonnante a present. Ouah ! Reichs ! J’ai vu le programme des cours. J’aimerais tellement pouvoir y aller un jour !
Melio s’inclina raidement, comme s’il avait, se disait Sol, du mal a courber les epaules.
— Est-ce que… commenca Melio… Est-ce que vous avez une idee de ce que vous aimeriez etudier ?
La douleur dans sa voix devait etre perceptible, meme pour Rachel, mais elle se contenta de hausser les epaules en riant.
— Ben… N’importe quoi, a vrai dire. Le vieux Eikhardt – c’est mon prof de paleontologie et d’archeologie a l’ecole ou je suis des cours speciaux – dit qu’ils ont la-bas une section formidable d’artefacts anciens et classiques.
— C’est vrai, reussit a dire Melio.
Le regard de Rachel se porta timidement de cet homme a son pere, comme si elle sentait une tension qu’elle etait incapable de definir.
— Bon, dit-elle, vous devez avoir beaucoup de choses a vous dire, et je ne voudrais pas vous interrompre plus longtemps. Je rentre, il est l’heure d’aller me coucher, je pense. Maman dit que je ne dois pas veiller, avec ce virus de la meningite ou je ne sais trop quoi que j’ai attrape, car ca risquerait de me porter sur le systeme. Je suis heureuse d’avoir fait votre connaissance, professeur Arundez. Et j’espere que nous nous reverrons a Reichs un de ces jours.
— Je l’espere aussi, lui dit Melio en la regardant avec une telle intensite, dans la semi-obscurite de la rue, que Sol eut l’impression qu’il cherchait a memoriser cette scene dans ses moindres details.
— Bon, ben… Bonne nuit, alors, fit Rachel en s’eloignant a reculons sur le trottoir, ses semelles crissant legerement. A demain, p’pa.
— Bonne nuit, Rachel.
Elle s’arreta encore dans l’encadrement de la porte d’entree. La lumiere du porche la faisait paraitre beaucoup plus jeune que les treize ans qu’elle avait.
— Salut, poilu ! lanca-t-elle.
— A plus tard, tete de lard, lui repondit Sol, et il vit les levres de Melio remuer a l’unisson.
Ils demeurerent quelque temps sur le trottoir en silence tandis que la nuit s’installait sur la ville. Une bicyclette passa dans la rue, faisant craquer les feuilles mortes, les rayons de ses roues brillant dans la lumiere diffusee par les vieux reverberes.
— Entrez, dit Sol. Sarai sera heureuse de vous revoir. Rachel sera dans sa chambre.
— Non, merci, lui dit Melio, les mains toujours dans les poches, immobile dans l’ombre. J’ai besoin de… J’ai commis une erreur, Sol.
Il commenca a s’eloigner, s’arreta puis tourna la tete.
— Je vous appellerai de Freeholm, dit-il. Nous mettrons sur pied une nouvelle expedition.
Sol hocha la tete.
Trois ans de transit, songea-t-il. Si elle partait ce soir avec lui, elle aurait… moins de dix ans en arrivant.
— Entendu, repondit-il.