Melio agita la main pour lui dire au revoir, puis s’eloigna en faisant craquer les feuilles mortes sous ses pas.

Sol ne devait plus jamais le revoir en personne.

Le plus grand temple gritchteque du Retz se trouvait sur Lusus, et Sol s’y distransporta quelques semaines avant le dixieme anniversaire de Rachel. Le batiment proprement dit n’etait pas beaucoup plus grand qu’une cathedrale de l’Ancienne Terre, mais il semblait gigantesque, avec ses effets d’arcs-boutants auxquels il ne manquait qu’une eglise, ses etages superieurs deformes et ses murs exterieurs en verre fume. L’humeur de Sol etait au plus bas, et la lourde gravite lusienne n’etait pas de nature a l’alleger. Malgre son rendez-vous avec l’eveque, il dut attendre cinq bonnes heures avant d’etre introduit dans le saint des saints. Il passa la plus grande partie de ce temps a contempler l’imposante sculpture d’acier polychrome, de vingt metres de haut, qui tournait lentement sur elle-meme et qui representait peut-etre le gritche legendaire. C’etait a coup sur en meme temps un hommage abstrait a toutes les armes coupantes et tranchantes qui eussent jamais ete inventees. Mais ce qui interessait le plus Sol Weintraub, c’etaient les deux globes rouges qui flottaient a l’interieur de l’espace de cauchemar cense representer un crane.

— H. Weintraub ?

— Votre Excellence, murmura Sol.

Il remarqua que les acolytes, exorcistes, assesseurs et huissiers qui lui avaient tenu compagnie durant sa longue attente se prosternaient sur les dalles de pierre noire a l’arrivee du grand pretre. Il fit un effort pour s’incliner de maniere aussi respectueuse que possible.

— Avancez, avancez, je vous en prie, H. Weintraub, dit le pretre en indiquant l’entree du sanctuaire gritchteque d’un geste large de son bras a la manche pendante.

Sol passa dans une salle sombre ou chaque bruit resonnait et qui n’etait pas sans lui rappeler le decor de son reve. Il prit un siege que lui indiquait l’eveque. Tandis que ce dernier prenait place sur ce qui ressemblait a un petit trone derriere un bureau sculpte de maniere complexe mais indubitablement moderne, Sol s’avisa que le grand pretre etait natif de Lusus, avec l’embonpoint et le double menton typiques, qui ne l’empechaient pas d’etre impressionnant comme tous les residents de cette planete. Sa robe etait d’un rouge agressif, couleur de sang arteriel, et coulait en plis qui evoquaient plus un liquide retenu par des barrieres transparentes qu’un tissu de soie ou de velours borde d’hermine couleur d’onyx. L’eveque avait un gros anneau rouge ou noir a chaque doigt, et l’alternance de ces deux couleurs produisait sur Sol un effet extremement troublant.

— Votre Excellence… commenca Sol, je vous prie d’avance de m’excuser si j’ai enfreint le protocole de votre Eglise gritchteque ou si je l’enfreins plus tard. J’avoue mon ignorance presque totale en la matiere, mais c’est le peu que je connais deja qui m’amene ici. Pardonnez-moi donc si j’utilise inconsiderement les titres ou les appellations. Ces maladresses ne seront dues qu’a l’imperfection de mes connaissances.

L’eveque fit tortiller ses doigts devant Sol. Les pierres rouges et noires scintillerent dans la lumiere diffuse.

— Les titres n’ont pas beaucoup d’importance, H. Weintraub. Il est acceptable, pour un non-croyant, de nous appeler « Votre Excellence ». Nous vous ferons cependant remarquer que la denomination officielle de notre modeste culte est l’Eglise de l’Expiation Finale, et que l’entite que le monde appelle si legerement le gritche est pour nous, dans les rares cas ou nous nous referons a son nom, le Seigneur de la Douleur, ou encore, plus communement, l’Avatar. Mais veuillez maintenant formuler la tres importante requete que vous dites avoir a nous presenter.

Sol s’inclina legerement.

— Votre Excellence, je ne suis qu’un simple enseignant…

— Pardonnez-moi de vous interrompre, H. Weintraub, mais vous etes beaucoup plus qu’un enseignant. Vous etes un tres grand erudit. Vos ecrits sur l’hermeneutique morale ont retenu notre attention. Vos interpretations sont quelquefois erronees, mais fort interessantes. Nous les citons regulierement dans nos cours sur l’apologetique doctrinale. Poursuivez, je vous prie.

Sol cligna plusieurs fois des paupieres. Ses travaux etaient pratiquement inconnus en dehors des spheres academiques les plus etroites, et cette declaration le troublait. Dans les cinq secondes qui lui furent necessaires pour retrouver ses esprits, cependant, il prefera se dire que l’eveque gritchteque avait un excellent secretariat et aimait se documenter sur les gens a qui il avait affaire.

— Votre Excellence, mes antecedents n’ont rien a voir avec la question qui m’amene ici. Je vous ai demande cette audience parce que mon enfant… ma fille… a contracte une maladie… a la suite, peut-etre, de certaines recherches qu’elle menait dans un domaine qui a pour votre Eglise une grande importance. Je veux parler, naturellement, de ce que l’on appelle les Tombeaux du Temps, sur la planete Hyperion.

L’eveque hocha lentement la tete. Sol se demanda s’il connaissait deja l’histoire de Rachel.

— Vous savez sans doute, H. Weintraub, que la region a laquelle vous faites allusion – et que nous appelons les Arches de l’Alliance – a ete recemment interdite aux soi-disant chercheurs par le Conseil interieur d’Hyperion ?

— Oui, Votre Excellence. Je l’ai appris recemment. Dois-je comprendre que votre Eglise a exerce une influence sur cette decision legale ?

L’eveque n’eut aucune reaction. Au loin, par-dela la penombre troublee d’encens, un carillon tres faible se fit entendre.

— Quoi qu’il en soit, reprit Sol, j’avais espere, Votre Excellence, que la doctrine de votre Eglise pourrait jeter quelque lumiere sur la maladie de ma fille.

L’eveque pencha la tete en avant de telle maniere que l’unique rayon de lumiere qui eclairait les lieux faisait luire son front, laissant ses yeux dans l’ombre.

— Souhaitez-vous etre religieusement initie aux mysteres de notre Eglise, H. Weintraub ?

Sol passa un doigt dans sa barbe.

— Non, Votre Excellence, a moins que cette initiation ne soit en mesure d’ameliorer le bien-etre de mon enfant.

— Votre fille desire peut-etre faire partie de l’Eglise de l’Expiation Finale ?

Sol hesita un bref instant.

— Je vous repete, Excellence, que tout ce qu’elle desire, c’est guerir. Si vous pensez qu’elle peut atteindre ce but en embrassant votre foi, nous envisagerons serieusement cette eventualite.

L’eveque se laissa aller en arriere sur son trone dans un froissement d’etoffe dont le rouge semblait couler de lui comme un liquide dans la demi-obscurite.

— C’est de bien-etre physique, H. Weintraub, que vous voulez parler. Notre Eglise est l’arbitre final du salut spirituel. Avez-vous conscience de ce que le premier decoule invariablement du second ?

— Je sais qu’il s’agit la d’une tres ancienne et tres respectable proposition, repondit Sol. Ce qui nous interesse, ma femme et moi, c’est le bien-etre total de notre enfant.

L’eveque appuya son large menton sur son poing.

— Puis-je savoir la nature du mal qui ronge votre fille, H. Weintraub ?

— C’est… une maladie liee a l’ecoulement du temps, Votre Excellence.

L’eveque se pencha en avant, soudain tendu.

— Et dans quel lieu saint dites-vous qu’elle a contracte ce mal, H. Weintraub ?

— Dans l’artefact que l’on appelle le Sphinx, Votre Excellence.

L’eveque se leva alors si vivement que plusieurs papiers de son bureau volerent jusqu’au sol. Meme sans les plis de sa robe, cet homme devait faire au moins deux fois la masse de Sol, qu’il dominait a present comme une figure incarnee de la mort rouge.

— Vous pouvez vous retirer ! fit-il d’une voix tonitruante. Votre fille est la plus benie et la plus maudite des creatures de ce monde. Il n’y a rien que vous ou cette Eglise – ou quoi que ce soit de ce cote-ci de la vie – puissiez faire pour elle.

— Votre Excellence, insista Sol sans se demonter, si la moindre possibilite existait de…

— Non ! s’ecria l’eveque, dont le rouge, a present, s’etait communique au visage.

Il frappa du poing sur son bureau. Des assesseurs et des exorcistes se presenterent sur le seuil. Leurs robes noires ourlees de rouge formaient un sinistre complement au costume de l’eveque. A cote d’eux, les

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