— Et tu crois que les mediatiques ne me retrouveraient pas ?

— Je pense que c’est uniquement a Rachel qu’ils s’interessent. Mais s’ils en ont apres toi, tu pourras toujours rentrer au bout d’une semaine, apres avoir rendu visite a tout le monde.

— Une semaine… Je ne pourrais jamais…

— Bien sur que tu le peux. Tu le dois, meme. Cela me donnera l’occasion de passer un peu plus de temps avec Rachel, et lorsque tu rentreras, les batteries rechargees, je m’occuperai egoistement de mon bouquin.

— Celui sur Kierkegaard ?

— Non. Quelque chose d’autre que j’ai dans la tete depuis un moment, et que je compte intituler Le Probleme d’Abraham.

— Un peu maladroit comme titre, fit remarquer Sarai.

— Le probleme n’a rien d’elegant non plus. Va faire tes valises, maintenant. Nous t’accompagnerons demain jusqu’a la Nouvelle-Jerusalem, pour que tu puisses te distransporter avant le sabbat.

— Je vais y reflechir, dit-elle d’un air peu convaincu.

— Tu vas faire tes valises, repeta Sol en la serrant dans ses bras.

Quand il la lacha, il lui avait fait faire un demi-tour complet sur elle-meme, de sorte qu’elle faisait maintenant face au couloir et a la porte de la chambre.

— Va, dit-il. Et quand tu reviendras, j’aurai trouve un moyen d’agir.

— Tu me le promets ? demanda Sarai en se retournant sur le seuil.

— Je te le promets, dit-il en la regardant d’un air solennel. Je trouverai un moyen avant que le temps ne detruise tout. Aussi vrai que je suis son pere, je jure de trouver un moyen.

Elle hocha la tete, plus rassuree qu’il ne l’avait vue depuis des mois.

— Je vais faire mes valises, dit-elle.

Le lendemain, apres etre rentre de la Nouvelle-Jerusalem avec Rachel, Sol sortit arroser leur maigre pelouse tandis que l’enfant jouait sagement a l’interieur. Lorsqu’il rentra, la lumiere rosee du couchant donnait aux murs des reflets evoquant le calme chaud et immense de l’ocean. Mais Rachel n’etait pas dans sa chambre ni dans aucun de ses endroits habituels.

— Rachel ?

N’obtenant pas de reponse, il se prepara a sortir alerter les voisins, mais entendit soudain un faible bruit du cote du placard ou Sarai rangeait des affaires de toute sorte. Il ouvrit doucement la porte.

Elle etait la, sous les vetements de la penderie. Le sol etait jonche de photos et de pastilles holos qui la representaient etudiante, a la maison, le jour de son depart pour l’universite, ou bien sur Hyperion, au pied d’une montagne sculptee. Le persoc de travail de Rachel debitait un enregistrement a voix basse sur les genoux de la petite fille. Le c?ur de Sol se serra quand il entendit la voix familiere et assuree de la jeune femme.

— Papa, dit la petite fille assise par terre, sa voix aigue s’elevant comme l’echo effrayant de celle du persoc, tu ne m’avais jamais dit que j’avais une s?ur !

— Tu n’en as pas, ma cherie.

Elle plissa le front.

— C’est maman, alors, quand elle etait… bien moins vieille ? Hmmm… C’est impossible, elle dit qu’elle s’appelle Rachel, elle aussi. Comment…

— Je t’expliquerai, lui dit Sol en s’apercevant tout a coup que l’holophone etait en train de sonner dans la salle de sejour. Attends-moi un instant, ma cherie. Je reviens tout de suite.

L’image qui se forma au-dessus de la fosse etait celle d’un homme qu’il n’avait jamais vu avant. Il n’activa pas son propre imageur, presse de se debarrasser de l’intrus.

— Oui ? fit-il d’une voix brusque.

— H. Weintraub ? Vous etes bien H. Weintraub du monde de Barnard, actuellement dans le village de Dan, sur Hebron ?

Il allait couper la communication, mais se ravisa. Leur code d’acces n’etait pas sur la liste officielle. Il arrivait qu’un representant les appelle de la Nouvelle-Jerusalem, mais les communications de l’exterieur etaient rarissimes. Et il s’avisa soudain, la gorge serree, que le soleil etait deja couche et que c’etait le jour du sabbat. Seuls etaient autorises les appels urgents.

— Oui, repondit-il.

— H. Weintraub, fit l’homme, dont le regard se perdait par-dela les epaules de Sol, un tres grave accident vient de se produire.

Lorsque Rachel ouvrit les yeux, son pere etait assis au bord du lit. Il semblait epuise. Ses yeux etaient rouges, et ses joues etaient couvertes d’un duvet gris qui depassait les limites de sa barbe.

— Bonjour, p’pa.

— Bonjour, ma colombe.

Elle regarda autour d’elle, battant des paupieres. Quelques-unes de ses poupees etaient la avec ses jouets favoris, mais ce n’etait pas sa chambre. La lumiere etait differente. L’air etait different. Son papa n’etait pas le meme.

— Ou sommes-nous ? demanda-t-elle.

— Nous sommes partis en voyage, ma cherie.

— Dans quel endroit ?

— Ca n’a pas d’importance pour le moment. Debout, mon bebe. Ton bain t’attend, et il faut nous preparer ensuite.

Une robe noire qu’elle n’avait jamais vue avant etait etalee au pied du lit. Elle la regarda, puis se tourna de nouveau vers son pere.

— Qu’est-ce qu’il y a, papa ? Ou est maman ?

Il lui caressa la joue. C’etait le troisieme matin depuis l’accident. L’enterrement avait lieu aujourd’hui. Il le lui avait dit chacun des jours precedents, parce qu’il ne pouvait pas imaginer de lui mentir. C’eut ete une trahison ultime, a la fois envers Rachel et Sarai. Mais il ne savait pas s’il aurait le courage de le refaire.

— Il y a eu un accident… commenca-t-il d’une voix rauque de douleur. Maman est morte. Nous allons lui dire au revoir au cimetiere aujourd’hui.

Il se tut. Il savait qu’il faudrait une minute entiere a Rachel pour accuser le coup. Le premier jour, il ignorait si une petite fille de quatre ans etait capable de bien saisir le concept de la mort. Aujourd’hui, il savait que Rachel en etait capable.

Un peu plus tard, tandis qu’il serrait dans ses bras l’enfant sanglotante, Sol essaya de comprendre l’accident qu’il lui avait decrit en quelques mots. Les VEM etaient de loin le moyen de transport individuel le plus sur que l’humanite eut jamais invente. Leur systeme de sustentation pouvait avoir des defaillances, mais meme ainsi la charge residuelle des generateurs EM etait suffisante pour permettre a la cabine de descendre au sol en toute securite a partir de n’importe quelle altitude. La conception de base des equipements anticollision des VEM n’avait pas change depuis des siecles. Elle etait jugee a toute epreuve. Pourtant, tous les systemes furent inefficaces. En l’occurrence, il s’agissait d’un jeune couple en viree dans un VEM vole, en dehors de tous les couloirs de circulation, evoluant a la vitesse de Mach 1,5 avec toutes ses lumieres et tous ses transpondeurs eteints pour echapper a la detection. Un hasard extraordinaire avait fait que le vieux Vikken de la tante Tetha descendait au meme moment vers l’aire de parking de l’opera de Bussard. Outre Sarai, la tante Tetha et les deux jeunes occupants de l’appareil vole, la collision avait fait trois autres victimes, touchees par des fragments des VEM qui avaient ete projetes jusqu’a l’interieur de l’opera lui-meme.

Sarai !

— Est-ce que maman reviendra un jour avec nous ? demanda Rachel entre deux sanglots.

Elle avait pose la meme question les deux jours precedents.

— Je ne sais pas, ma cherie, lui repondit Sol.

Et il etait sincere.

Les funerailles eurent lieu au cimetiere de la famille, dans le comte de Kates, sur le monde de Barnard. La presse n’envahit pas le cimetiere, mais des mediatiques survolerent les arbres qui se trouvaient en bordure et se presserent contre les grilles noires comme une sinistre et dangereuse maree humaine.

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