doutait.

— Le fait qu’une chose ne soit pas visible ne signifie nullement qu’elle n’existe pas.

— Quelle formulation maladroite ! Trois negations pour aboutir a une affirmation, particulierement aussi peu profonde que celle-la !

— Precisement, Sol. Tu commences a comprendre ou tout cela peut mener.

— Hein ?

Il n’y eut pas de reponse a cette derniere pensee. Sol demeura allonge sur son lit, ecoutant le sifflement du vent du desert.

Le dernier mot de Rachel fut « maman », prononce a l’age de cinq mois.

Elle se reveilla dans son berceau et ne demanda pas – elle en etait incapable – ou elle etait. Son univers etait fait de biberons, de sommeil et de jouets en caoutchouc. Quelquefois, quand elle pleurait, Sol se demandait si c’etait pour reclamer sa mere.

Il faisait ses courses dans les magasins de Dan. Il emmenait le bebe avec lui quand il achetait les couches, les accessoires pour la toilette ou un nouveau jouet.

La semaine qui preceda son depart pour Tau Ceti Central, Ephraim et deux autres anciens lui rendirent visite pour discuter avec lui. C’etait le soir, et les dernieres lueurs du crepuscule se refletaient sur le crane chauve d’Ephraim.

— Nous nous faisons du souci pour toi, Sol, lui dit-il. Les semaines qui viennent vont etre difficiles. Les femmes voudraient faire quelque chose pour t’aider. Nous aussi.

Il posa la main sur le bras de l’ancien.

— J’apprecie beaucoup, Ephraim. J’apprecie tout ce que vous avez fait pour moi depuis des annees. Nous nous sentons chez nous ici. Sarai aurait aime… Elle aurait aime que je vous remercie pour tout. Mais nous partons dimanche. Ne vous inquietez pas pour Rachel, elle va aller mieux.

Les trois hommes assis sur le banc de bois echangerent des regards etonnes. Avner demanda :

— Ils ont decouvert un traitement ?

— Non, lui repondit Sol. Mais j’ai une bonne raison d’esperer.

— L’espoir, c’est bien, fit Robert, prudent.

Sol lui sourit, ses dents blanches luisant contre le gris de sa barbe.

— Heureusement, murmura-t-il. Quelquefois, c’est tout ce qu’il nous reste.

La camera holo du studio zooma pour faire un gros plan de Rachel, dans les bras de Sol, sur le plateau de l’emission « Entre nous ».

— Vous affirmez donc, fit Devon Whiteshire, presentateur du show et troisieme visage le plus populaire de toute l’infosphere du Retz, que le refus de l’Eglise gritchteque de vous laisser retourner dans les Tombeaux du Temps, ainsi que les reticences de l’Hegemonie a vous fournir un visa, condamnent votre enfant a… l’extinction ?

— Tout a fait, declara Sol. Le voyage a Hyperion ne peut s’effectuer en moins de six semaines. Rachel n’a plus maintenant que six semaines. Tout nouveau delai impose par l’Eglise gritchteque ou la bureaucratie du Retz se soldera par la mort de ce bebe.

Un fremissement parcourut les spectateurs presents dans le studio. Devon Whiteshire se tourna vers l’imageur le plus proche. Son visage osseux et bon enfant emplit l’ecran.

— Cet homme ignore s’il pourra sauver sa fille, dit-il d’une voix puissante chargee d’intonations subtiles. Mais tout ce qu’il demande, c’est qu’on lui donne une chance. Pensez-vous que son bebe et lui meritent une telle chance ? Si oui, appelez vos representants planetaires et le temple gritchteque le plus proche de votre domicile. Leurs numeros devraient apparaitre sur votre ecran… Voila…

Il se tourna de nouveau vers Sol.

— Nous vous souhaitons bonne chance, H. Weintraub. Et… (posant sa large main sur la joue du bebe) bonne chance a toi aussi, ma poupee.

La camera resta braquee sur Rachel jusqu’a la disparition de l’image en un fondu au noir.

L’effet Hawking causait des nausees, des vertiges, des maux de tete et des hallucinations. Durant la premiere partie du voyage, d’une duree de dix jours, effectuee jusqu’a Parvati a bord d’un vaisseau-torche de l’Hegemonie appele l’Intrepide, Sol garda Rachel dans ses bras, stoique. Ils etaient les seuls passagers pleinement conscients a bord du vaisseau de guerre. Au debut, Rachel pleura beaucoup. Au bout de quelques heures, cependant, elle se calma, ses grands yeux bruns continuellement leves vers lui. Sol se souvenait du jour ou elle etait nee. Les infirmieres l’avaient prise des bras de Sarai pour la lui donner. Ses cheveux n’etaient pas beaucoup plus courts que maintenant, et ses grands yeux n’etaient pas moins profonds.

Finalement, ils s’endormirent tous les deux d’epuisement.

Sol reva qu’il avancait a l’interieur d’un enorme edifice dont les colonnes avaient chacune la taille d’un sequoia geant et dont le plafond etait si haut qu’on l’apercevait a peine. Une lumiere vermeille baignait le vide glace de ces lieux. Il fut surpris de voir qu’il tenait toujours le bebe dans ses bras. Rachel enfant n’avait jamais, jusque-la, fait partie de ses reves. Le bebe le regardait avec intensite, et Sol se sentait en contact avec la conscience de sa fille aussi surement que si elle avait pu parler.

Soudain, une voix differente, immense et glacee, se reverbera dans l’edifice desert :

— Sol ! Prends ta fille, ta fille unique, Rachel, que tu aimes, et rends-toi sur le monde qu’on appelle Hyperion pour l’immoler par le feu a l’un des endroits que je t’indiquerai.

Hesitant, il baissa les yeux vers l’enfant. Les yeux lumineux de Rachel etaient fixes sur lui. Il percut un oui muet. Il la serra un peu plus fort dans ses bras et s’avanca pour apostropher les tenebres silencieuses :

— Ecoute-moi bien ! Il n’y aura plus de sacrifice, ni d’enfants ni de parents. Il n’y aura plus d’autre sacrifice que pour nos semblables les humains. Le temps de l’obeissance et de l’expiation est passe !

Il tendit l’oreille. Il sentait les battements de c?ur de Rachel et la chaleur de son petit corps contre son bras. De tout en haut descendait le sifflement froid du vent a travers des fissures invisibles. Il mit les mains en porte-voix autour de ses levres et cria :

— C’est fini ! Plus jamais ! Laisse-nous tranquilles ou bien mets-toi de notre cote comme pere et non comme demandeur de sacrifices. Tu as le choix d’Abraham !

Rachel s’agita dans ses bras tandis qu’un grondement montait du sol de pierre. Les colonnes se mirent a vibrer. La lumiere vermeille s’assombrit puis s’eteignit, ne laissant plus que les tenebres autour d’eux. Au loin, des pas monstrueux retentirent. Sol serra tres fort Rachel contre lui tandis qu’un vent violent soufflait a ses oreilles.

Une lueur les sortit du cauchemar. C’etait celle de l’Intrepide, a bord duquel ils foncaient vers Parvati pour embarquer sur le vaisseau-arbre Yggdrasill a destination de la planete Hyperion. Sol sourit a sa petite fille agee de sept semaines. Elle lui rendit son sourire.

Ce devait etre le dernier – ou le premier.

La cabine principale du chariot a vent demeura quelque temps plongee dans le silence lorsque le vieux lettre eut fini son recit. Sol Weintraub s’eclaircit la voix et but un peu d’eau dans un gobelet de cristal. Rachel dormait profondement dans le berceau improvise avec un tiroir. Le chariot a vent oscillait doucement dans sa course. Le ronflement de la grande roue et le bourdonnement du gyroscope principal formaient un fond sonore qui les bercait.

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