CXXV
LA bataille est merveilleuse ; elle se fait plus precipitee. Les Francais y frappent avec vigueur et rage. Ils tranchent les poings, les flancs, les echines, transpercent les vetements jusqu'aux chairs vives, et le sang coule en filets clairs sur l'herbe verte. « Terre des Aieux, Mahomet te maudisse ! Sur tous les peuples ton peuple est hardi ! » Pas un Sarrasin qui ne crie : « Marsile ! Chevauche, roi ! Nous avons besoin d'aide ! »
CXXVI
LA bataille est merveilleuse et grande. Les Francais y frappent des epieux brunis. Si vous eussiez vu tant de souffrance, tant d'hommes morts, blesses, ensanglantes ! Ils gisent l'un sur l'autre, face au ciel, face contre terre. Les Sarrasins ne peuvent l'endurer davantage : bon gre mal gre ils vident le champ. Et les Francs, de vive force, leur ont donne la chasse.
CXXVII
LE comte Roland appelle Olivier : « Seigneur compagnon, avouez-le, l'archeveque est tres bon chevalier ; il n'y a meilleur sous le ciel ; il sait bien frapper de la lance et de l'epieu. » Le comte repond : « Donc, allons lui aider ! » A ces mots les Francs ont recommence. Durs sont les coups, lourde est la melee. Les chretiens sont en grande detresse. Il eut fait beau voir Roland et Olivier frapper, tailler de l'epee ! L'archeveque frappe de son epieu. De ceux qu'ils ont tues, on peut estimer le nombre ; il est ecrit, dit la Geste, dans les chartes et les brefs : ils en tuerent plus de quatre milliers. Aux quatre premiers assauts, ils ont bien tenu coup ; le cinquieme leur pesa lourdement. Ils sont tous tues, les chevaliers francais, hormis soixante que Dieu a epargnes. Avant qu'ils meurent, ils se vendront tres cher.
CXXVIII
LE comte Roland voit le grand massacre des siens. Il appelle Olivier, son compagnon : « Beau seigneur, cher compagnon, par Dieu ! que vous en semble ? Voyez tant de vaillants qui gisent la contre terre ! Nous avons bien sujet de plaindre douce France, la belle ! Videe de tels barons, comme elle reste deserte ! Ah ! roi, ami, que n'etes-vous ici ? Olivier, frere, comment pourrons-nous faire ? Comment lui mandrons-nous des nouvelles ? » Olivier dit : « Comment ? Je ne sais pas. On en pourrait parler a notre honte, et j'aime mieux mourir ! »
CXXIX
ROLAND dit : « Je sonnerai l'olifant. Charles l'entendra, qui passe les ports. Je vous le jure, les Francs reviendront. » Olivier dit : « Ce serait pour tous vos parents un grand deshonneur et un opprobre et cette honte serait sur eux toute leur vie ! Quand je vous demandais de le faire, vous n'en fites rien. Faites-le maintenant : ce ne sera plus par mon conseil. Sonner votre cor, ce ne serait pas d'un vaillant ! Mais comme vos deux bras sont sanglants ! » Le comte repond : « J'ai frappe de beaux coups. »
CXXX
ROLAND dit : « Notre bataille est dure ! Je sonnerai mon cor, le roi Charles l'entendra. » Olivier dit : « Ce ne serait pas d'un preux ! Quand je vous disais de le faire, compagnon, vous n'avez pas daigne. Si le roi avait ete avec nous, nous n'eussions rien souffert. Ceux qui gisent la ne meritent aucun blame. Par cette mienne barbe, si je puis revoir ma gente s?ur Aude, vous ne coucherez jamais entre ses bras ! »
CXXXI
ROLAND dit : « Pourquoi, contre moi,