— Il a commence par faire correspondre chaque formule chimique a une sonorite de type syllabe. Methyl-4 methylpyrrole-2 carboxylate va par exemple se dire MT4MTP2CX, puis Miticamitipidicixou. Et enfin il a engrange dans la memoire de l'ordinateur: Miticamitipi = pomme; et: dicixou = se situe au nord. L'ordinateur fait la traduction dans les deux sens. Quand il percoit «dicixou» il traduit en texte «se situe au nord». Et quand on tape «se situe au nord», il transforme cette phrase en «dicixou», ce qui declenche l'emission de carboxylate par cet appareil emetteur…

— Un appareil emetteur?

— Oui, cette machine-ci.

Il montre une sorte de bibliotheque composee de milliers de petites fioles, chacune terminee par un tube, lui-meme branche sur une pompe electrique.

— Les atomes contenus dans chaque fiole sont aspires par cette pompe, puis projetes dans cet appareil qui les trie et les calibre au dosage precis indique par le dictionnaire informatique.

— Extraordinaire, reprend Daniel Rosenfeld, tout simplement extraordinaire. Est-il vraiment arrive a dialoguer?

— Hum… a ce stade, le mieux est que je vous lise ses notes dans l'Encyclopedie.

EXTRAiTS DE CONVERSATION: Extraitde la premiere conversation avec uneformica rufa de type guerriere.

HUMAIN: Me recevez-vous?

FOURMI: crrrrrrrr.

HUMAIN: J'emets, me recevez-vous?

FOURMI: errrrrrrrcrrrcrrrrrrrrr. Ausecours.

(N.B.: plusieurs reglages ont ete modifies.

En particulier, les emissions etaientbeaucoup trop puissantes, elles asphyxiaient le sujet. Il faut mettre le bouton de reglaged'emission sur 1. Le bouton de reglage dereception, en revanche, doit etre pousse au10 pour ne pas perdre une molecule.)

HUMAIN: Me recevez-vous?

FOURMI: Bougu.

HUMAIN: J'emets, m'entendez-vous?

FOURMI: Zgugnu. Au secours! je suisenfermee.

Extrait de la troisieme conversation.

(N.B.: le vocabulaire a ete cette fois etendude quatre-vingts mots. L'emission etait encore trop forte. Nouveau reglage, lebouton doit etre positionne tout pres dezero.)

FOURMI: Quoi?

HUMAIN: Que dites-vous?

FOURMI: je ne comprends rien. Ausecours!

HUMAIN: Parlons plus lentement!

FOURMI: Vous emettez trop fort! Mesantennes sont saturees. Au secours! je suis enfermee.

HUMAIN: La, ca va?

FOURMI: Non, vous ne savez donc pasdialoguer?

HUMAIN: Eh bien…

FOURMI: Qui etes-vous?

HUMAIN: je suis un grand animal. Je me nomme ED-MOND. Je suis un HU-MAIN. FOURMI: Qu'est-ce que vous dites? je ne comprends rien. Au secours! a l'aide! je suis enfermee!..

(N.B.: suite a ce dialogue, le sujet est mort dans les cinq secondes qui ont suivi. Les emissions sont-elles encore trop toxiques? A-t-il eu peur?)

Jonathan interrompt sa lecture.

— Comme vous le voyez, ce n'est pas simple! Accumuler du vocabulaire ne suffit pas pour leur parler. En outre, le langage fourmi ne fonctionne pas comme le notre. Il n'y a pas que les emissions de dialogue proprement dites qui sont percues, il y a aussi les emissions envoyees par les onze autres segments antennaires. Ceux-ci donnent l'identification de l'individu, ses preoccupations, son psychisme… une sorte d'etat d'esprit global qui est necessaire a la bonne comprehension interindividuelle.

C'est pourquoi Edmond a du abandonner. Je vous lis ses notes.

STUPIDE QUE JE SUIS: Stupide que je suis!

Meme s'il existait des extraterrestres nous ne pourrions les comprendre. A coup sur nos references ne peuvent etre identiques. On arriverait en leur tendant la main, et cela signifierait peut-etre pour eux un geste de menace.

Nous n'arrivons meme pas a comprendre les japonais avec leur suicide rituel, ou les Indiens avec leurs castes. Nous n 'arrivons pas a nous comprendre entre humains… Comment ai-jepu avoir la vanite de comprendre les fourmis!

801e n'a plus qu'un moignon d'abdomen. Meme si elle a pu tuer a temps la lomechuse, ce combat contre les guerrieres au parfum de roche dans les champignonnieres l'a sacrement retrecie. Tant pis, ou tant mieux: sans abdomen, elle est plus legere. Elle emprunte le large passage creuse dans le granit. Comment des mandibules de fourmis ont-elles pu amenager ce tunnel? En contrebas, elle decouvre ce que Chli-pou-ni lui avait indique: une salle remplie de quantites d'aliments. A peine a-t-elle fait quelques pas dans cette salle qu'elle trouve une autre issue. Elle y penetre et se trouve bientot dans une ville, une ville entiere aux odeurs de roche! Une cite sous la Cite.

— Il a donc echoue?

— Il est reste longtemps, en effet, a ruminer cet echec. Il pensait qu'il n'y avait aucune issue, que son ethnocentrisme l'avait aveugle. Et puis ce sont les ennuis qui l'ont reveille. Sa vieille misanthropie a ete le facteur declenchant.

— Que s'est-il passe?

— Vous vous rappelez, professeur, vous m'aviez dit qu'il travaillait dans une societe qui se nommait «Sweetmilk Corporation» et qu'il avait eu maille a partir avec ses collegues.

— En effet!

— L'un de ses superieurs avait fouille dans son bureau. Et ce superieur n'etait autre que Marc Leduc, le frere du Pr Laurent Leduc!

— L'entomologiste?

— En personne.

— C'est incroyable… Il est venu me voir, il se pretendait un ami d'Edmond, il est descendu.

— Il est descendu dans la cave?

— Oh! mais ne t'en fais pas, il n'est pas alle loin. Il n'a pas su passer le mur de la pyramide, alors il est remonte.

— Mmmh, il etait aussi venu voir Nicolas pour essayer de mettre la main sur l'Encyclopedie. Bon… Marc Leduc avait donc remarque qu'Edmond travaillait avec passion sur des croquis de machines (en fait, les premieres esquisses de la Pierre de Rosette). Il a reussi a ouvrir le placard du bureau d'Edmond et il est tombe sur une chemise, sur l'Encyclopedie du savoir relatif et absolu. Il y a trouve tous les plans de la premiere machine a communiquer avec les fourmis. Quand il a saisi l'usage de cet appareil (et il y avait suffisamment d'annotations pour qu'il comprenne), il en a parle a son frere.

Celui-ci s'est montre evidemment tres interesse et lui a aussitot demande de voler les documents… Mais Edmond s'etait apercu qu'on avait fouille dans ses affaires, et pour les proteger d'une nouvelle visite il a lache quatre guepes de type ichneumon dans le tiroir. Des que Marc Leduc est revenu a la charge, il s'est fait piquer par ces insectes qui ont la facheuse habitude de deposer leurs larves voraces dans le corps ou elles ont plante leur dard. Le lendemain, Edmond a repere les traces de piqures et a voulu demasquer publiquement le coupable. Vous

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