l’enregistreur ; le compteur Jung s’emplissait lentement, de maniere imperceptible pour l’?il, d’une epaisse lumiere mauve ; les ulmotrons piaillaient doucement ; les reflets de la flamme nucleaire jouaient lugubrement derriere leurs petites lucarnes en verre reflechissant. La Vague se developpait. Quelque part au-dela de l’horizon du nord, au- dessus des terrains abandonnes de la terre morte jaillissaient, a perte de vue dans la stratosphere, de gigantesques fontaines d’une poussiere brulante et toxique  …

Le signal du videophone stridula, et Robert adopta immediatement l’attitude de quelqu’un au travail. Il pensait que c’etait Patrick ou — ce qui aurait ete horrible par une telle chaleur — Malaiev. Mais c’etait Tania, gaie et reposee ; on voyait tout de suite que chez elle il ne faisait pas quarante degres, qu’il n’y avait pas d’emanations puantes de la steppe morte, que l’air qu’elle respirait etait doux et frais et que le vent de la mer toute proche apportait les aromes purs des fleurs que la maree basse avait laissees a decouvert.

— Comment vas-tu sans moi, Roby ? demanda-t-elle.

— Mal, se plaignit Robert. Ca sent mauvais. Il fait chaud et je suis couvert de sueur. Tu n’es pas la. Je tombe de sommeil, pourtant je n’arrive pas a dormir.

— Mon pauvre garcon ! Moi, j’ai fait un bon petit somme dans l’helicoptere. Je vais aussi avoir une journee difficile. La fete estivale, la cohue generale, les tables tournantes et la fin du monde. Les enfants se demenent comme des fous. Tu es seul ?

— Non. Camille est ici. Mais il ne nous voit pas, il ne nous entend pas. Tania, je te retrouve ce soir. Seulement, dis-moi ou ?

— Tu te fais remplacer ? Dommage. Allons au sud !

— D’accord. Tu te rappelles ce cafe dans le village des Pecheurs ? On va manger des lamproies, boire du vin nouveau  … glace ! (Robert gemit et prit un air extasie.) Maintenant, je vais attendre le soir. Oh ! comme je vais l’attendre !

— Moi aussi  … (Elle se tourna.) Je t’embrasse, Roby, dit-elle. Je te rappelle.

— Je vais vivre dans l’impatience, eut le temps de dire Robert.

Camille regardait toujours par la fenetre, les mains derriere le dos. Il n’arretait pas de bouger les doigts. Camille avait les doigts extraordinairement longs, blancs, souples, aux ongles coupes court. Ils se croisaient et se decroisaient d’une maniere bizarre, et Robert se surprit a essayer de faire la meme chose avec les siens.

— Ca commence, dit soudain Camille. Je vous conseille de venir voir.

— Qu’est-ce qui commence ? demanda Robert, qui n’avait pas envie de se lever.

— La steppe s’est mise en marche, dit Camille.

Robert se leva a contrec?ur et s’approcha de Camille. Au debut, il ne remarqua rien. Puis il lui sembla qu’il voyait un mirage. Mais lorsqu’il eut mieux regarde, il fit un tel bond en avant qu’il se cogna le front contre la vitre. La steppe bougeait, la steppe changeait rapidement de couleur : une monstrueuse bouillie rougeatre rampait a travers l’espace jaune. Sous le mirador, on pouvait deja voir des points rouges bouger au milieu des tiges seches.

— Bon sang ! s’ecria Robert. Les mange-ble rouges ! Mais pourquoi restez-vous a ne rien faire ?

Il se jeta vers le videophone.

— Bergers ! cria-t-il. Qui est de service ?

— Je vous ecoute.

— Ici le poste de la Steppe. Les mange-ble avancent du cote nord ! Toute la steppe en est couverte !

— Quoi ? Repetez !.. Qui parle ?

— Ici le poste de la Steppe, observateur Skliarov ! Les mange-ble rouges avancent du cote nord ! C’est encore pire qu’il y a deux ans ! Vous comprenez ? Toute la steppe grouille de mange-ble !

— Oui  … Compris  … Merci, Skliarov. Quel malheur ! Les notres sont tous au sud  … Mais quel malheur ! Bon, on va voir.

— Ecoutez ! cria Robert. Entrez en liaison avec la montagne d’Albatre ou avec Greenfield, il y a plein de zeroistes, ils vont intervenir !

— J’ai tout compris ! Merci, Skliarov. Je vous en prie, prevenez-moi des que les mange-ble se seront arretes.

Robert bondit de nouveau vers la fenetre. Les mange-ble avancaient en masse, on ne voyait plus l’herbe.

— Quel malheur ! marmonnait Robert, le visage colle a la vitre. Ca, c’est vraiment un malheur !

— Ne vous faites pas d’illusions, Roby, dit Camille. Ca, ce n’est pas encore un malheur. C’est simplement interessant.

— Oui, surtout quand ils auront bouffe toutes les semences, dit Robert avec hargne, et qu’on se retrouvera sans pain et sans betail.

— Non, ca n’arrivera pas, Roby. Ils n’auront pas le temps.

— Je l’espere. C’est mon seul espoir. Regardez seulement comme ils avancent. La steppe en est toute rouge.

— Un cataclysme, dit Camille.

vSoudain, ce fut le crepuscule. Une ombre gigantesque s’etendit sur la steppe. Robert se retourna et courut vers la fenetre de l’est. Un large nuage fremissant avait cache le soleil. Et, de nouveau, Robert mit du temps a comprendre ce que c’etait. Au debut, il s’etonna seulement, car dans la journee il n’y avait jamais de nuages sur l’Arc-en-ciel. Mais ensuite il vit que c’etait des oiseaux. Des milliers et des milliers d’oiseaux arrivaient du nord et, meme a travers les fenetres fermees, on entendait le bruissement ininterrompu des ailes et les cris aigus, percants. Robert recula vers la table.

— D’ou viennent les oiseaux ? demanda-t-il.

— Ils se sauvent tous, dit Camille. Tous, ils s’enfuient. A votre place, Roby, moi aussi, je m’enfuirai. C’est la Vague qui arrive.

— Quelle Vague ? (Robert se pencha et regarda les appareils.) Mais il n’y a aucune Vague, Camille  …

— Non ? dit Camille avec sang-froid. Tant mieux. Alors, restons et regardons.

— De toute facon, je n’avais pas l’intention de m’enfuir. Simplement, ca me surprend. Je crois qu’il faut informer Greenfield. Mais, quand meme, d’ou peuvent bien venir ces oiseaux ? La-bas, il n’y a que le desert.

— Il y a enormement d’oiseaux, dit Camille avec calme. La-bas s’etendent d’immenses lacs bleus ou poussent des roseaux.

— Il se tut.

Robert le regarda, incredule. Ca faisait dix ans qu’il travaillait sur l’Arc-en-ciel et il avait toujours ete persuade qu’au nord du parallele Chaud on ne trouvait rien : ni eau, ni herbe, ni vie. « < Je prends un flyer et j’y fais un saut avec Tania, pensa-t-il fugitivement. Des lacs, des roseaux  … »

Le signal d’appel crepita, et Robert se tourna vers l’ecran. C’etait Malaiev en personne.

— Skliarov, dit-il avec son hostilite habituelle, et Robert se sentit, comme toujours coupable, coupable pour tout, y compris les mange-ble et les oiseaux. Skliarov, voici mes ordres. Faites immediatement evacuer le poste. Emportez les deux ulmotrons.

— Fedor Anatolievitch, dit Robert, les mange-ble avancent, les oiseaux arrivent. J’etais sur le point de vous en informer  …

— Ne vous ecartez pas du sujet. Je repete. Emportez les deux ulmotrons, montez dans l’heli coptere et partez immediatement pour Greenfield. Vous m’avez compris ?

— Oui.

— Il est  … (Malaiev jeta un coup d’?il vers le bas) il est dix heures quarante-cinq. Il faut qu’a onze heures zero minute vous ayez decolle. Etant donne que je fais sortir des « charybdes », restez, a tout hasard, a une altitude suffisante. Si vous n’avez pas le temps de demonter les ulmotrons, laissez-les.

— Mais que se passe-t-il ?

— C’est la Vague, dit Malaiev et il regarda pour la premiere fois Robert dans les yeux. Elle a traverse le parallele Chaud. Depechez-vous.

Robert resta debout une seconde, rassemblant ses idees. Puis, de nouveau, il consulta les appareils. Selon les appareils, l’eruption etait en train de diminuer.

— Bon, ce n’est pas de mon ressort, dit Robert a haute voix. Camille, allez-vous m’aider ?

— A present, je ne pourrai plus aider personne, repliqua Camille. Du reste, cela ne me concerne pas. Qu’est- ce qu’il faut faire : transbahuter les ulmotrons ?

Вы читаете L’Arc-en-ciel lointain
Добавить отзыв
ВСЕ ОТЗЫВЫ О КНИГЕ В ИЗБРАННОЕ

0

Вы можете отметить интересные вам фрагменты текста, которые будут доступны по уникальной ссылке в адресной строке браузера.

Отметить Добавить цитату