brumes de vapeur tremblant au-dessus des terrains saliferes, les rares taillis de buissons nains. Le soleil brulait, impitoyable. Curieusement, il n’y avait ici aucune trace ni des mange-ble, ni des oiseaux, ni de l’ouragan. Celui-ci avait du tous les disperser pour se perdre ensuite a son tour dans ces espaces steriles, desertiques depuis que l’Arc-en-ciel existait, comme destines par la Nature elle-meme aux experiences folles des physiciens-zero. Une fois, lorsque Robert etait encore un novice, lorsque la Capitale s’appelait simplement la capitale, et que Greenfield ne figurait pas sur les cartes, la Vague avait deja visite ces lieux, provoquee par l’experience grandiose de feu Lu Fin- Sen. A l’epoque, tout ici etait noir, mais sept ans apres seulement, l’herbe tenace et peu exigeante commencait de nouveau a faire reculer le desert loin vers le nord, vers les regions meme des eruptions.

« Tout se remettra en place, pensait Robert. Tout sera comme avant, a la difference qu’il n’y aura plus de Camille. Et si un jour quelqu’un apparait de facon particulierement soudaine dans le fauteuil derriere mon dos, je saurai alors avec certitude que ce n’est qu’un revenant. Maintenant, je vais aller directement chez Malaiev et je lui dirai, le regardant dans le blanc des yeux : « Vos ulmotrons, je les ai laisses tomber. » Lui, il emettra entre les dents : « Comment avez-vous ose, Skliarov ? » Et alors, je lui dirai : « Je m’en fous de vos ulmotrons, parce que Camille est mort a cause d’eux ! » Lui, il dira : « Bien sur, c’est tres dommage, mais vous auriez du apporter les ulmotrons. » Alors, je finirai par me mettre en rage et je lui sortirai tout. « Un monstre de glace, voila ce que tu es ! lui dirai-je. Tu es un bonhomme de neige electronique. Comment oses-tu penser aux ulmotrons alors que Camille est mort ? Tu es un sans-c?ur, un lezard ! »

A deux cents kilometres de Greenfield il vit des « charybdes » — de gigantesques chars telemecaniques montes de gueules beantes captrices d’energie. Les « charybdes » avancaient de front, d’un bout de l’horizon a l’autre, respectant des intervalles reguliers de cinq cents metres, dans le fracas et le vrombissement des moteurs super-puissants. Ils laissaient derriere eux, sur la steppe jaune, de larges bandes de terre marron retournee, eventree jusqu’a la couche inferieure de basalte. Les engrenages des chenilles brillaient sous le soleil. Loin sur la droite, dans le ciel terne, s’agitait un point a peine visible : c’etait l’helicoptere qui guidait le mouvement de ces monstres metalliques. Les « charybdes » marchaient sur la Vague.

Apparemment, les capteurs d’energie ne fonction naient pas encore, mais, a tout hasard, Robert prit brutalement de l’altitude et ne commenca a redescendre qu’au moment ou Greenfield surgit de la brume devant lui : quelques maisonnettes blanches et la tour carree du controle a grande distance, bordees d’epaisse verdure terrestre. Dans la banlieue nord, ecrasant sous son poids une petite palmeraie, se detachait lugubrement en noir un « charybde » immobile, pointant droit sur Robert la gueule insondable de son capteur ; deux autres « charybdes » se tenaient de part et d’autre du village. Deux helicopteres survolerent la tour et partirent vers le sud. Les ailes membraneuses des pterocars etincelaient au soleil sur la place a cote de pelouses vertes. Des gens couraient et s’affairaient autour des pterocars.

Robert gara le flyer juste a l’entree de la tour et bondit sur le perron. Quelqu’un se rejeta en arriere, une voix de femme cria : « Qui est-ce ? » Robert prit la poignee de la porte en verre et se figea un instant, inspectant son reflet : presque nu, couvert d’une croute de poussiere, les yeux mechants, une large eraflure noire en travers de la poitrine et du ventre  … « Qu’importe », pensa-t-il, et il tira violemment sur la poignee. « Mais c’est Robert ! » cria quelqu’un dans son dos. U monta lentement l’escalier et se cogna dans Patrick. Patrick le regardait, la bouche ouverte.

— Patrick, dit Robert. Patrick, mon vieux, Camille est mort  …

Patrick cilla et porta soudain ses deux mains a sa bouche. Robert poursuivit son chemin. La porte du poste de dispatching etait ouverte. A l’interieur se trouvaient Malaiev, Chota Petrovitch Pagava le chef des zeroistes du Nord, Cari Hoffman et d’autres personnes encore, des biologistes a ce qu’il lui sembla. Robert s’arreta sur le seuil, s’appuyant au chambranle. Derriere lui, quelqu’un montait lourdement les marches, et une voix cria : « Comment le sait-il ? »

— Camille  …, dit Robert d’une voix sifflante et il toussa.

Tout le monde le regarda, d’un air interloque.

— Que se passe-t-il ? demanda Malaiev d’un ton tranchant. Que vous arrive-t-il, Skliarov ? Pourquoi etes-vous dans cette tenue ?

Robert s’approcha de la table et, plaquant ses poings sales sur il ne savait quels papiers, lanca a la tete de l’autre :

— Camille est mort. Il a ete ecrase.

Un silence absolu s’etablit. Les yeux de Malaiev se retrecirent.

— Comment, ecrase ? Ou ?

— U a ete ecrase par le pterocar, dit Robert. A cause de vos precieux ulmotrons. U aurait pu tranquillement se sauver, mais il m’a aide a transbahuter vos precieux ulmotrons et il a ete ecrase. Quant a vos ulmotrons, je les ai laisses tomber. Vous les ramasserez quand la Vague sera passee. Vous comprenez ? Je les ai laisses tomber. Ils trainent quelque part la-bas.

On lui fourra un verre d’eau entre les mains. Il le prit et le vida d’un seul trait. Malaiev se taisait. Son visage pale devint completement blanc. Cari Hoffman feuilletait distraitement des schemas, conservant les yeux baisses. Pagava se leva et resta debout, tete penchee.

— C’est tres dur  …, finit par dire Malaiev. C’etait un grand homme. Un tres grand homme, repeta-t-il en se frottant le front.

De nouveau, il regarda Robert.

— Vous etes extenue, Skliarov  …

— Je ne suis pas extenue.

— Allez vous remettre en etat et vous reposer.

— C’est tout ? demanda amerement Robert.

Le visage de Malaiev redevint comme avant : indifferent et dur.

— Je vais vous retenir encore une minute. Avez-vous vu la Vague ?

— Oui. La Vague aussi, je l’ai vue.

— De quel type est-elle ?

Un declic se produisit dans le cerveau de Robert, et tout reprit sa place habituelle : il y avait Malaiev, un chef autoritaire et intelligent, et il y avait son eternel laborantin-observateur Robert Skliarov, alias « La Jeunesse de l’Univers ».

— Du troisieme type, il me semble, dit-il, docile. Une Lu-Vague.

Pagava leva la tete.

— C’est bien ! prononca-t-il avec une vivacite inattendue.

Et, aussitot, il s’affaissa, s’appuya contre la table et s’assit mollement.

— Ah ! Camille, ah, Camille, marmonna-t-il. Le pauvre !

Il attrapa ses grandes oreilles decollees a pleines mains et commenca a secouer sa tete au-dessus des papiers.

L’un des biologistes, louchant craintivement vers Robert, effleura le coude de Malaiev.

— Je vous demande pardon, dit-il timidement. Et en quoi est bien, une Lu-Vague ?

Malaiev detacha enfin ses yeux scrutateurs du visage de Robert.

— Ca signifie, dit-il, que, seule la partie nord des semences sera detruite. Mais nous ne sommes pas encore surs que c’est une Lu-Vague. Notre observateur a pu se tromper.

— Mais comment ca ? pleurnicha le biologiste. On s’etait pourtant mis d’accord  … Vous avez ces  … comment  … » charybdes »  … Ne pouvez-vous l’arreter ? Quel genre de physiciens etes-vous donc ?

Cari Hoffman dit :

— On reussira probablement a mettre fin a l’inertie de la Vague sur la ligne de la baisse discontinue.

— Qu’est-ce que ca veut dire : « probablement » ? s’ecria une femme inconnue qui se tenait a cote du biologiste. Vous rendez-vous compte que c’est vraiment scandaleux ? Et toutes vos garanties ?

Et tous vos beaux discours ? Vous vous rendez compte que vous privez la planete de pain et de viande ?

— Je ne recois pas ces reclamations, dit froidement Malaiev. Je compatis profondement, mais vos reclamations doivent etre adressees a Etienne Lamondoy. Nous n’effectuons pas d’experiences-zero. Nous etudions la Vague  …

Robert se dirigea lentement vers la porte. « Camille, ils n’y pensent meme pas, songeait-il. La Vague, les semences, la viande  … Pourquoi ne l’aimaient-ils pas ? Parce qu’il etait plus intelligent qu’eux tous reunis ? Ou parce qu’ils n’aiment personne en general ? » A la porte des laboratoires se tenaient des jeunes gens qu’il

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