connaissait ; il voyait des visages familiers, inquiets, melancoliques, preoccupes. Quelqu’un le prit par le coude. U baissa la tete et rencontra les petits yeux tristes de Patrick.
— Viens, Rob, je vais t’aider a te laver …
— Patrick, dit Robert, et il lui posa la main sur l’epaule ; Patrick, pars d’ici. Laisse-les tomber si tu veux rester humain …
Le chagrin altera les traits de Patrick.
— Quelle idee, Rob, marmonna-t-il. U ne faut pas. Ca passera.
— Ca passera, repeta Robert. Tout passera. La Vague passera. La vie passera. Et tout sera oublie. Alors, peu importe a quel moment ce sera oublie. Tout de suite ou plus tard …
Derriere lui, les biologistes rouspetaient deja
franchement. Malaiev exigeait : « Le bulletin ! » Chota criait : « N’arretez pas de faire des releves, pas une seconde ! Utilisez a bloc tout l’appareillage ! Et apres, balancez-le ! »
— Viens, Rob, insista Patrick.
A cet instant, couvrant les conversations et les cris, la voix monotone que tout le monde connaissait resonna dans le bureau de dispatching :
— Je demande votre attention !
Robert fit volte-face. Ses genoux flechirent. Sur le grand ecran du videophone il vit le casque brillant et laid de Camille, ses yeux ronds qui ne cillaient jamais.
— J’ai peu de temps, disait Camille.
C’etait le vrai Camille, vivant — sa tete tremblait, ses levres fines remuaient, l’extremite de son long nez bougeait au rythme de ses paroles.
— Je n’arrive pas a joindre le directeur. Faites immediatement evacuer tout le nord. Immediatement ! (Il tourna la tete et regarda ailleurs, montrant sa joue maculee de poussiere.) La Lu-Vague est suivie par une Vague d’un type nouveau. Avec elle, vous ne …
Une lumiere aveuglante illumina l’ecran, quelque chose craqua et l’ecran s’eteignit. Un silence de mort regnait dans le bureau de dispatching, et soudain Robert vit que les yeux de Malaiev, plisses, terribles, etaient poses sur lui.
CHAPITRE IV
Sur l’Arc-en-ciel il n’y avait qu’un seul cosmo-drome ; et sur ce cosmodrome ne stationnait qu’un seul vaisseau interstellaire, le sigma-D-vaisseau de commando Tariel 2. On le voyait de loin : un dome blanc et bleu de soixante-dix metres de haut dominait, tel un nuage etincelant, les toits plats vert fonce des stations de carburant. Gorbovski effectua deux tours incertains. Il etait difficile de se poser a cote du vaisseau : un cercle serre de vehicules divers l’entourait. D’en haut, on apercevait de maladroits robots-pompistes, colles comme des ventouses aux six protuberances des reservoirs ; affaires, des cybers de depannage tataient chaque centimetre du revetement ; un robot-mere gris dirigeait une douzaine d’agiles petites machines a analyser. Ce spectacle habituel rejouissait son ?il de maitre de maison.
Cependant, pres du sas du chargement, avait lieu une violation evidente de toutes les prescriptions. Ayant fait s’ecarter les dociles cybers de cosmodrome, une multitude de vehicules de transports differents s’entassaient ici. Il y avait des « percherons » a chargement ordinaire, des « diligences » de touristes, des « testudos » de passagers, des « guepards » et meme une « taupe » : une excavatrice encombrante destinee aux travaux miniers. Tous effectuaient des evolutions compliquees pres du sas, se serrant et se poussant les uns les autres. A cote, en plein soleil, se trouvaient quelques helicopteres, et trainaient des caisses vides dans lesquelles Gorbovski reconnut sans aucune difficulte des emballages d’ulmotrons. Des gens etaient tristement assis sur les caisses.
Gorbovski amorca un troisieme tour pour reperer un endroit ou atterrir et au meme moment decouvrit que son flyer etait suivi de pres par un lourd pterocar, dont le conducteur, sortant a moitie par la portiere ouverte, lui faisait des signes incomprehensibles. Gorbovski posa le flyer entre les helicopteres et les caisses et, aussitot, le pterocar s’affala maladroitement a cote de lui.
— Je viens vous chercher ! cria d’un ton affaire le conducteur du pterocar, bondissant hors de la cabine.
— Je vous le deconseille, dit doucement Gorbovski. La file d’attente ne me concerne absolument pas. Je suis le commandant de ce vaisseau.
Le visage du conducteur exprima l’admiration.
— Magnifique ! s’exclama-t-il a mi-voix, lancant autour de lui un regard prudent. On va damer le pion aux zeroistes. Comment s’appelle le commandant de ce vaisseau ?
— Gorbovski, dit Gorbovski avec un leger salut.
— Et le navigateur ?
— Valkenstein.
— Parfait, dit le conducteur du pterocar, sur le meme ton affaire. Donc, vous etes Gorbovski et moi, je suis Valkenstein. Allons-y.
Il prit Gorbovski par le coude. Gorbovski resista.
— Ecoutez, Gorbovski, nous ne risquons rien. Je connais ces vaisseaux par c?ur. Moi-meme, j’ai vole en commando sur cette planete. Nous allons nous faufiler dans le depot, nous prendrons chacun un ulmotron et nous nous enfermerons dans le carre des officiers. Quand tout cela sera fini — d’un geste negligent, il indiqua les vehicules — nous ressortirons tranquillement.
— Et si jamais le vrai navigateur arrivait ?
— Le vrai navigateur aura besoin de pas mal de temps pour prouver qu’il est vrai, repliqua avec autorite le faux navigateur.
Gorbovski emit un petit rire et dit :
— Allons-y.
Le faux navigateur lissa ses cheveux, respira a fond et avanca d’un pas decide. Ils commencerent a se frayer peniblement un passage entre les vehicules. Le faux navigateur parlait sans arret, d’une voix imperative qui s’etait soudain transformee en basse profonde.
— Je suppose, enoncait-il tout haut, que le net toyage des diffuseurs ne ferait que nous ralentir. Je propose qu’on change simplement la moitie des pieces et qu’on examine le revetement avec la plus grande attention. Monsieur, avancez un peu votre vehicule ! Vous genez le passage … Eh bien, Valen-tin Petrovitch, lors de l’entree en deritrinitation … Monsieur, faites reculer votre camion. Je ne comprends pas, pourquoi vous attroupez-vous ? Il existe une file d’attente, la liste, la loi, a la fin … Envoyez vos representants … Valentin Petrovitch, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je suis stupefait de la sauvagerie des aborigenes. Nous n’avons rien vu de pareil, meme sur Pandore, au milieu des takhorgs …
— Vous avez entierement raison, Marc, dit Gorbovski, amuse.
— Comment ? Ah oui, bien sur, ca va de soi … Des m?urs epouvantables !
Une jeune fille portant un foulard de soie se pencha de la cabine du « percheron » et s’enquit :
— Navigateur et commandant, si je ne me trompe pas ?
— Oui ! repondit avec defi le navigateur. Et, en tant que navigateur, je vous recommande de relire les instructions concernant le deroulement du dechargement.
— Vous croyez que c’est necessaire ?
— Sans aucun doute. C’est en pure perte que vous avez amene votre camion dans la zone de vingt metres …
— Je vais vous dire, les amis, retentit une voix gaie et jeune, ce navigateur-la a moins d’imagination que les deux premiers.
— Qu’entendez-vous par la ? demanda le faux navigateur, profondement outre ; son visage avait quelque chose du faux Neron.
— Voyez-vous …, dit la jeune fille au foulard d’un ton penetre, la, sur les caisses vides, sont deja assis deux navigateurs et un commandant. Quant a ces caisses vides, ce sont les emballages des ulmotrons qu’a emportes l’ingenieur du bord, une jeune femme d’aspect timide. Le representant du Conseil est actuellement en train de lui donner la chasse …