— Oui. Seulement, il faut les demonter d’abord.

— Voulez-vous un bon conseil ? dit Camille. Le bon conseil numero sept mille huit cent trente-deuy Robert avait deja coupe le courant et, se brulant les doigts, il devissait les assemblages.

— Donnez-le, votre bon conseil, dit-il.

— Laissez tomber les ulmotrons, montez dans l’helicoptere et partez chez Tania.

— Voila un conseil valable, dit Robert, arrachant precipitamment des raccords. Un conseil agreable. Aidez- moi donc a le sortir d’ici  …

L’ulmotron pesait environ un quintal, c’etait un gros cylindre lisse d’un metre et demi de long. Us l’extirperent de son nid et le porterent dans la cabine de l’ascenseur. Le vent hulula, le mirador commenca a vibrer — Ca suffit, dit Camille. On descend ensemble.

— U faut prendre le second.

— Roby, vous n’aurez meme pas besoin de celui-ci. Suivez mon conseil.

Robert regarda sa montre.

— On a le temps, dit-il, d’un ton affaire. Descendez et, une fois en bas, faites-le rouler sur le sol.

Camille ferma la porte. Robert regagna l’installation. Dehors, tout etait d’un rouge crepusculaire. Il n’y avait plus d’oiseaux, mais un voile trouble couvrait peu a peu le ciel, laissant a peine percer le petit disque du soleil. Le mirador tressautait et se balancait sous les rafales du vent.

— Pourvu qu’on ait le temps ! pensa Robert a haute voix.

Faisant un violent effort, il degagea le second ulmotron, le hissa sur son epaule et le porta vers l’ascenseur. Au meme moment derriere son dos, les vitres volerent en eclats dans un craquement dechirant, et, porte par un vent brulant, un nuage de poussiere piquante envahit d’un seul coup le laboratoire. Quelque chose heurta ses jambes avec force. Robert s’accroupit precipitamment, appuya l’ulmo-tron contre le mur et pressa le bouton d’appel. Le moteur de l’ascenseur hurla a vide et se tut aussitot.

— Cami-ille ! cria Robert, le visage serre contre la porte grillagee.

Personne ne lui repondit. Le vent hululait et sifflait dans les fenetres brisees, le mirador se balancait, et Robert avait du mal a se tenir debout. De nouveau, il appuya sur le bouton. L’ascenseur ne fonctionnait pas. Alors, luttant contre le vent, il gagna peniblement la fenetre et regarda dehors. La steppe etait voilee par des tourbillons de poussiere qui volaient a une vitesse demente. Quelque chose etincelait par instants au pied du mirador, et Robert se glaca, comprenant que c’etait une aile tordue et dechiree du pterocar qui battait et tremblait sous les rafales du vent. Robert ferma les yeux et passa sa langue sur ses levres dessechees. Un gout acre et amer emplit sa bouche. « Pour un piege, c’est un piege, pensa-t-il. Si Patrick etait ici  … »

— Cami-i-ille ! cria-t-il de toutes ses forces.

Mais il entendit a peine sa propre voix. « Passer par la fenetre  … Non, l’ouragan m’emporterait. Et puis, est- ce que ca vaut la peine de s’agiter ? Le pterocar est casse  … C’est la qu’elle va me tomber dessus. Non, il faut descendre. Mais qu’est-ce qu’il fabrique en bas, ce Camille ; a sa place, j’aurais deja repare l’ascenseur  … L’ascenseur ! »

Enjambant des gravats, il regagna la porte grillagee et s’y accrocha des deux mains. « Eh bien, vas-y, « La Jeunesse de l’Univers », pensa-t-il. La porte avait ete construite serieusement. Si les charpentes du mirador avaient ete faites de la meme maniere, l’ascenseur ne serait jamais tombe en panne. Robert cala son dos contre la porte et, pliant les jambes, il posa les pieds sur le mur du sas. « Allons-y  … Une, deux ! » Sa vue s’obscurcit. Quelque chose craqua : la porte ou ses muscles. Encore une fois ! La porte ceda. « Elle va tomber, pensa Robert, et je degringolerai dans la cage de l’ascenseur. Vingt metres la tete la premiere, et l’ulmotron par-dessus. » Il changea de position, calant cette fois son dos contre le mur et ses jambes contre la porte. Crac ! La moitie basse de la porte sauta, et Robert tomba sur le dos, se cognant la tete. Il resta couche quelques secondes, immobile. Il ruisselait de sueur. Puis il regarda dans la breche. Tout au fond, on apercevait le toit de la cabine. Il avait terriblement peur de descendre, mais a cet instant le mirador commenca a s’incliner sensiblement et Robert glissa vers le bas. Il ne resista pas : le mirador s’inclinait de plus en plus, l’entrainant dans une chute qui semblait ne jamais devoir se terminer.

Il descendait, s’accrochant aux charpentes et aux etais, tandis que le vent piquant le criblait de petites poussieres, le plaquant contre le metal tiede. Il eut le temps de voir que la poussiere avait nettement diminue et que la steppe etait a nouveau inondee de soleil. Le mirador continuait a s’incliner. Robert avait tellement hate de savoir dans quel etat se trouvait le pterocar et ou etait passe Camille, qu’il sauta alors qu’il restait encore environ quatre metres jusqu’au sol. En tombant il se fit mal aux jambes et aux bras. La premiere chose qu’il vit, ce fut les doigts de Camille agrippes a la terre seche.

Camille etait couche sous le pterocar renverse, ses yeux ronds et vitreux demeuraient grands ouverts, ses longs doigts fins s’accrochaient a la terre, comme s’il avait essaye d’extirper son corps de sous le vehicule brise, ou qu’il avait eu tres mal avant de mourir. La poussiere couvrait sa veste blanche, la poussiere saupoudrait ses joues et ses yeux ouverts.

— Camille, appela Robert.

Le vent secouait rageusement un morceau de l’aile mutilee du pterocar au-dessus de sa tete. Le vent apportait des nappes de poussiere jaune. Le vent sifflait et hululait entre les charpentes du mirador incline. Le petit soleil brulait ferocement dans le ciel trouble ; il paraissait ebouriffe.

Robert se releva et, appuyant de tout son poids, tenta de faire bouger le pterocar. Une seconde, rien qu’une seconde il reussit a soulever le lourd engin. De nouveau, il regarda Camille. Tout son visage etait couvert de poussiere, sa veste blanche avait pris une teinte rousse et seul son absurde casque blanc ne portait pas le moindre grain de sable et son plastique brillant lancait de gais reflets sous le soleil.

Les jambes de Robert tremblerent et il s’assit a

cote du mort. Il eut envie de pleurer. « Adieu, Camille. Je vous ai aime, parole d’honneur. Personne ne vous a aime, mais moi, je vous ai aime. Il est vrai que je ne vous ai jamais ecoute, tout comme les autres, mais, parole d’honneur, si je ne vous ecoutais pas, c’etait uniquement parce que je n’esperais pas pouvoir vous comprendre. Vous etiez tellement au-dessus des autres, alors par rapport a moi  … Et voila que maintenant je suis incapable d’enlever ce tas de ferraille qui ecrase votre poitrine. Par devoir d’amitie, je devrais rester a cote de vous. Mais Tania m’attend, meme Malaiev m’attend peut-etre, et puis, j’ai terriblement envie de vivre. La, aucun sentiment, aucune logique n’y peuvent rien. Je sais que je n’irai pas loin. Et neanmoins, je vais essayer. Je vais courir, je vais clopiner, probablement ramper, mais je continuerai jusqu’a mon dernier souffle  … Je suis un cretin, j’aurais du ecouter votre sept millieme conseil, mais, comme d’habitude, je ne vous ai pas compris, et pourtant, a bien reflechir, qu’y avait-il de si difficile a comprendre ? »

U se sentait tellement brise, tellement las, que c’est avec le plus grand mal qu’il se forca a se mettre debout et a marcher. Et lorsqu’il se retourna pour jeter un dernier regard a Camille, il vit la Vague.

Loin, tres loin au nord, au-dessus de la ligne d’horizon, derriere le voile rougeatre de la poussiere qui retombait, dans le ciel delave, etincelait une bande eblouissante, brillante comme le soleil.

« Eh bien, c’en est fini, pensa mollement Robert. Je n’irai pas loin. Elle sera la dans une demi-heure et continuera son chemin, ne laissant qu’un desert lisse et noir. Bien sur, le mirador n’aura rien, ni les ulmotrons ; le pterocar non plus, et son aile brisee pendra dans l’air immobile et chaud. Peut-etre le casque de Camille passera-t-il a travers. Mais de moi, il ne restera rien. » En guise d’adieu, il se contempla, tapota sa poitrine nue, tata ses muscles. « Dommage », pensa-t-il. Et la, il vit un flyer.

Le flyer stationnait derriere le mirador ; un petit flyer a deux places, ressemblant a une tortue bigarree, rapide, economique, etonnamment simple et facile a conduire. C’etait le flyer de Camille. Mais bien sur que c’etait le flyer de Camille !

Robert fit quelques pas incertains dans sa direction, puis, contournant le mirador, se precipita a toutes jambes. Il ne lachait pas le flyer des yeux, comme s’il avait peur que l’appareil disparaisse d’un seul coup ; il trebucha sur quelque chose et tomba a plat ventre dans l’herbe piquante, s’ecorchant la poitrine et le ventre. U se remit sur ses pieds d’un bond et se retourna. Le cylindre de l’ulmotron, lourd, lisse, poli a en devenir bleu, oscillait encore doucement apres la secousse. Robert regarda au nord. Le mur noir se dressait deja a l’horizon. Robert courut vers le flyer, soulevant une montagne de poussiere, sauta sur le siege et, ayant a peine trouve en tatonnant la manette de direction, demarra en trombe.

La steppe s’etendait jusqu’a Greenfield, et Robert la survola a une vitesse moyenne de cinq cents kilometres heure. Le flyer devorait la steppe, progressant a la maniere d’une puce, par bonds enormes. Bientot, la bande aveuglante disparut derriere l’horizon. Dans la steppe, tout semblait comme d’habitude : l’herbe seche et drue, les

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