Ils le lacherent, il fit un pas en avant, mais se cogna le genou contre un objet de grande taille enveloppe d’une bache que tenaient, avec un effort visible, deux jeunes gens aux berets bleu marine identiques.

— Vous ne pourriez pas le prendre ? souffla l’un d’eux.

— Si c’etait possible  …, dit l’autre.

— Nous avons mis deux ans a le construire  …

— S’il vous plait.

Gorbovski secoua la tete et s’appreta a passer outre.

— Leonid Andreievitch, dit le premier, plaintif. Nous vous implorons.

Gorbovski secoua de nouveau la tete.

— Ne t’humilie pas, dit le second, fache. (Il lacha brutalement l’objet enveloppe qui tomba avec fracas sur le sol.) Lache-le, je te dis, lache !

Avec une rage inattendue, il assena un coup de pied a son appareil et s’eloigna en boitant fortement.

— Volodia ! cria dans son dos le premier, alarme. Reprends tes esprits !

Gorbovski se detourna.

— Evidemment, les sculpteurs n’ont rien a esperer, prononca pres de son oreille une voix insinuante.

Gorbovski se contenta de secouer la tete ; il ne pouvait plus parler. Colle a lui, Malaiev respirait peniblement et ecrasait l’arriere de ses chaussures.

Un autre groupe de personnes, munies de rou leaux, colis et paquets, s’ebranla d’un coup et l’accompagna dans sa marche.

— Peut-etre, vaudrait-il mieux faire la chose suivante  …, debita l’un d’eux sur un ton nerveux et saccade. Peut-etre  … Deposer tout cela devant la trappe de chargement  … Nous comprenons qu’il y a peu de chances  … Mais si jamais il vous reste de la place  … Apres tout, ce ne sont pas des etres humains, mais des objets  … Les entasser n’importe ou  … n’importe comment  …

— Oui., oui  …, dit Gorbovski. Occupez-vous-en, je vous en prie. (Il s’arreta un instant et changea le chef- d’?uvre d’epaule.) Faites-le savoir a tout le monde. Deposez les objets pres de la trappe de chargement. A dix pas et sur le cote. D’accord ?

Un mouvement agita la foule, elle se fit moins dense. Les gens aux rouleaux et aux paquets commencerent a se disperser et Gorbovski finit par atteindre l’espace libre devant la trappe des passagers, ou les petits, alignes deux par deux, attendaient de se retrouver dans les bras de Percy Dickson.

Les bambins vetus de vestes, culottes et bonnets multicolores etaient dans un etat de joyeuse excitation provoque par la perspective d’un veritable voyage interstellaire. Ils n’avaient d’attention que pour ceux de leur age, ainsi que pour l’immensite bleuatre du vaisseau et ils n’offraient que des regards distraits a la foule des parents. Les parents, ils n’y pensaient pas. Dans l’ouverture ronde de la trappe se tenait Percy Dickson, affuble de l’uniforme de parade de pilote interstellaire, antique, oublie depuis longtemps, lourd et etouffant, aux boutons argentes a la va vite, orne d’insignes et de galons rutilants. La sueur ruisselait sur son visage barbu et, de temps a autre, il hurlait d’une voix de marin : « Tout le monde a sa place, on leve l’ancre ! » C’etait tres gai et les loupiots, extasies, ne detachaient pas leurs yeux de lui. Les deux educateurs se tenaient la aussi : l’homme avait la liste a la main, la femme chantait avec les petits, trop gaiement, la chanson du rhinoceros courageux. Sans quitter Dickson des yeux, ils faisaient echo avec une grande ferveur, chantant chacun a sa facon.

« Si on restait le dos tourne a la foule, pensa Ciorbovski, on pourrait croire que le bon oncle Percy a reellement organise une promenade amusante autour de l’Arc-en-ciel sur un veritable vaisseau interstellaire pour les eleves de la maternelle. » Mais a ce moment precis, Dickson prit dans ses bras un petit garcon, le remit a quelqu’un dans le sas, et derriere Gorbovski une voix de femme cria alors, au bord de l’hysterie : « Mon Tolik ! Mon Tolik  … » Gorbovski se retourna, apercut les traits livides de Malalev, les visages crispes des peres, les sourires forces et pitoyables des meres, tous ces yeux emplis de larmes, ces levres mordues de desespoir, cette femme en pleine crise d’hysterie qu’emmenait rapidement, en l’etreignant par les epaules, un homme vetu d’une combinaison tachee de terre. L’un se detourna, l’autre se vouta et clopina ailleurs, un troisieme s’allongea simplement sur le beton et se prit la tete entre les mains.

Gorbovski vit Genia Viazanitzina, plus potelee qu’avant, plus jolie aussi, ses yeux immenses et secs, sa bouche serree avec resolution. Elle tenait par la main un garcon gros et calme portant une culotte rouge. Le garcon croquait dans une pomme, son regard rive sur l’eblouissant Percy Dickson.

— Bonjour, Leonid, dit-elle.

— Bonjour, ma petite Genia, dit Gorbovski.

Malaiev et Patrick firent quelques pas en arriere.

— Ce que tu es maigre, dit-elle. Toujours aussi maigre. Tu t’es meme desseche encore un peu plus.

— Toi, en revanche, tu as embelli.

— Je ne te derange pas trop ?

— Mais non. Tout se deroule comme prevu. Je dois seulement inspecter le vaisseau. Je crains beaucoup que la place nous manque malgre tout.

— C’est tres dur d’etre seule. Matvei est toujours, toujours occupe  … Parfois, il me semble que tout ca lui est completement egal.

— C’en est loin, dit Gorbovski. J’en ai parle avec lui. Et je sais que c’en est loin  … Mais il ne peut rien faire  … Tous les enfants de l’Arc-en-ciel sont les siens. Il ne peut agir autrement.

Elle fit un petit geste decourage de sa main libre.

— Je ne sais que faire avec Aliocha, dit-elle. Il est encore tres attache a la maison. Il n’a meme pas ete dans un jardin d’enfants.

— Il s’habituera. Les enfants s’habituent a tout, tres vite, ma petite Genia. Ne t’inquiete pas : il sera bien.

— Je ne sais meme pas a qui m’adresser.

— Tous les educateurs sont bons. Tu le sais aussi bien que moi. Ils se valent tous. Aliocha sera bien.

— Mais tu ne me comprends pas ! Il ne figure sur aucune liste.

— Qu’est-ce que ca a de si terrible ? Qu’il soit sur les listes ou pas, aucun enfant ne restera sur l’Arc-en-ciel. Tu veux que j’aille dire qu’on l’inscrive ?

— Oui, dit-elle. Non  … Attends. Est-ce que je peux monter a bord avec lui ?

Gorbovski secoua tristement la tete.

— Ma petite Genia, dit-il, il ne faut pas. Pourquoi inquieter les enfants ?

— Je n’inquieterai personne. Je veux juste voir comment il sera  … Qui sera a cote de lui  …

— Des marmots comme lui. Gais et gentils.

— Je peux monter avec lui ?

— Il nefaut pas, ma petite Genia.

— Si. Ille faut. Ilne pourra passe debrouiller tout seul.Commentvivra-t-il sansmoi ?Tu ne comprendsrien. Vousne comprenezrien arien. Je ferai tout ce qu’on me demandera. N’importe quel travail. Je sais tout faire. Je t’en prie. Ne sois pas si cruel  …

— Ma petite Genia, regarde autour de toi. Toutes sont des meres.

— Il n’est pas comme les autres. Il est faible.

Capricieux. Il est habitue a ce qu’on s’occupe de lui constamment. Il ne pourra pas se debrouiller sans moi. Il ne le pourra pas ! Je suis la mieux placee pour le savoir, quand meme ! Profiterais-tu du fait que je ne peux aller me plaindre a personne, que c’est toi le grand patron ?

— Est-ce que tu oserais prendre la place d’un enfant qui serait oblige de rester ici ?

— Personne ne restera, dit-elle avec passion. J’en suis sure : personne ! Tous, ils auront leur place. Et moi, je n’en prendrai pas  … Vous avez bien une machinerie, des chambres a quelque chose  … Il faut que je sois avec lui !

— Je ne peux rien pour toi. Excuse-moi.

— Mais si, tu peux ! Tu es commandant. Tu as tous les pouvoirs. Oh ! tu as toujours ete bon, Leonid !

— Je le suis encore maintenant. Tu ne peux pas t’imaginer a quel point je le suis.

— Je ne te lacherai pas, dit-elle, et elle se tut.

— Bon, dit Gorbovski. Mais faisons ca de la facon suivante : j’emmene Aliocha a bord, j’inspecte le vaisseau et je reviens te voir. D’accord ?

— Tu ne me tromperas pas. Cela, je le sais. J’y crois. Tu n’as jamais trompe personne.

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