— Nous ne voulons pas partir, annonca l’un d’eux, un garcon de grande taille, blondasse, aux yeux vert vif. Ce sont les educateurs qui doivent partir.

— C’est vrai 1 dit une jeune fille portant un pantalon de survetement.

Derriere Gorbovski, la voix de Percy Dickson tonna :

— Jetez ! jetez tout par terre !

Les plaques tintinnabulantes des blocs-schemas degringolerent de la trappe. La chaine s’etait mise en marche.

— Voila ce que j’ai a vous dire, mes amis, commenca Gorbovski. D’abord, vous n’avez pas encore le droit de vote parce que vous n’avez pas termine vos etudes secondaires. Ensuite, il ne faut pas exagerer. H est vrai que vous etes encore jeunes, vous vous precipitez pour accomplir des exploits heroiques, mais le fait est qu’ici on c’a pas besoin de vous, tandis qu’a bord, si. La peut me prend rien qu’a l’idee de ce qui s’y passera pendant le vol en inertie. Il nous faut deux grands par cabine chez les petits, au moins trois filles adroites pour la creche et pour aider les meres avec les nouveau-nes. Bref, c’est la que vous devez accomplir un exploit.

— Excusez-moi, commandant, dit avec ironie le garcon aux yeux verts, mais les educatrices peuvent tres bien se charger de tout ca.

— Excusez-moi, jeune homme, dit Gorbovski, mais je suppose que vous n’ignorez pas les droits d’un commandant. En tant que tel, je vous declare qu’il n’y aura que deux educateurs qui partiront. Le plus important n’est pas la : faites un effort et tachez de vous demander comment vos educateurs pourraient continuer a vivre s’ils prenaient vos places a bord du vaisseau. Les jeux sont termines, mes petits. Devant vous, il y a maintenant la vie, telle qu’elle est parfois, mais heureusement pas souvent. Et maintenant, excusez-moi, j’ai a faire. Je ne peux vous offrir qu’une seule consolation : vous monterez a bord les derniers. C’est tout.

U leur tourna le dos et se cogna dans le jeune homme aux yeux tristes.

— Oh ! je vous demande pardon, dit Gorbovski. Je vous ai completement oublie.

— Vous avez dit qu’il y aurait deux educateurs qui partiraient, prononca le jeune homme d’une voix rauque. Qui ?

— Mais qui etes-vous ? demanda Gorbovski.

— Je suis Robert Skliarov. Physicien-zeroiste. Mais il ne s’agit pas de moi. Je vais tout vous raconter. Seulement, dites-moi d’abord quels sont les educateurs qui partiront ?

— Skliarov  … Skliarov  … Un nom etonnamment familier. Ou l’ai-je deja entendu ?

— Camille, dit Skliarov, se forcant a sourire.

— Ah, dit Gorbovski. Ainsi, vous etes curieux de savoir qui partira ? (Il examina Skliarov des pieds a la tete.) Bon, je vais vous le dire. A vous seul. Le responsable et le medecin en chef. Ils ne le savent pas encore.

— Non, dit Skliarov en saisissant les mains de Gorbovski. Encore un  … Encore une  … Tatiana Tourtchina. Elle est educatrice. Elle est tres aimee. C’est une educatrice extremement qualifiee  …

Gorbovski libera ses mains.

— Impossible, dit-il. Impossible, mon cher Robert ! Seules, les meres avec les nouveau-nes partent, vous comprenez ? Seuls, les enfants et les meres avec les nouveau-nes.

— Elle aussi ! fit aussitot Skliarov. Elle aussi est mere ! Elle va avoir un enfant  … Mon enfant ! Demandez- le-lui  … Elle aussi est mere !

Quelqu’un poussa fortement Gorbovski dans le dos. Il chancela et vit Skliarov qui reculait, apeure, devant l’approche d’une petite femme tres fine, etonnamment gracieuse et elancee, avec plusieurs stries blanches dans ses cheveux d’or, au visage dont la rare beaute paraissait petrifiee. Gorbovski se passa la main sur le front et retourna a la trappe.

A present, seuls demeuraient les eleves des grandes classes et les educateurs. Les autres adultes : les peres, les meres, tous ceux qui avaient apporte leurs ?uvres, ainsi que ceux qui avaient ete attires vers le vaisseau par un espoir vague, inconscient, reculaient lentement, se divisaient et for maient des groupes. Stanislav Pichta, les bras ecartes, se tenait dans la trappe et criait :

— Serrez-vous un peu, les gars ! Michael, dis a ceux qui sont dans le poste de pilotage de se serrer ! Encore un peu !

De serieuses voix d’enfants lui repondirent :

— Il n’y a plus de place ! On est deja tres serres !

La voix grave de Percy Dickson tonna :

— Comment ca, plus de place ! Et la, derriere le tableau de bord ? N’aie pas peur, ma cherie, il n’y a pas de courant, passe par ici, passe  … Toi aussi  … Et toi, le nez retrousse  … Allez, depechons ! Et toi aussi  … Voila  … Voila  …

La voix de Valkenstein, froide, sonnant comme du metal, repetait :

— Serrez-vous, les gars  … Laissez passer  … Pousse-toi, fillette  … Laisse-moi passer, mon petit  …

Pichta fit de la place et Valkenstein apparut a cote de lui, sa veste jetee sur l’epaule.

— Je reste sur l’Arc-en-ciel, dit-il. Desole, mais il vous faudra vous passer de moi, Leonid Andreie-vitch.

Ses yeux fouillaient la foule, cherchant quelqu’un.

Gorbovski hocha la tete.

— Le medecin est a bord ? demanda-t-il.

— Oui, repondit Marc. Comme adulte, il n’y a que le medecin et Dickson.

Un rire fusa soudain de la trappe.

— Vous alors ! prononca distinctement la voix de Dickson. C’est comme ca qu’il faut faire  … Une, deux  … Une, deux  …

Dickson apparut dans la trappe. Il apparut au-dessus de la tete de Pichta, son visage renverse etait couvert de sueur, cramoisi.

— Tenez-moi, Leonid, siffla-t-il. Sinon je vais degringoler.

Les enfants riaient aux eclats. C’etait effectivement tres drole : le gros ingenieur du bord pendait du plafond comme une mouche, s’accrochant des mains et des pieds aux dispositifs qui servaient a fixer la cargaison. Il etait lourd et brulant ; lorsque Pichta et Gorbovski l’eurent tire dehors et remis sur pieds, il dit, respirant avec difficulte :

— Vieux  … Je suis trop vieux  …

Clignant des yeux, l’air coupable, il regarda Gorbovski.

— Je ne peux pas tenir la-dedans, Leonid. Pas de place, pas d’air, trop chaud  … Ce sacre costume  … Je reste ici. Vous avec Marc, partez. Et puis, a vrai dire, j’en ai assez de vous deux.

— Adieu, Percy, dit Gorbovski.

— Adieu, ami, dit Dickson, attendri.

Gorbovski rit et lui tapota les galons.

— Eh bien, Stanislav, dit-il a Pichta, il te faudra te passer d’ingenieur de bord. Je pense que tu t’y feras. Ta mission : te mettre sur l’orbite du satellite de l’equateur et attendre le Fleche. Le reste sera fait par le commandant du Fleche.

Pendant quelques secondes, Pichta garda un silence hebete. Puis, il comprit.

— Mais qu’est-ce que t’as, hein ? dit-il, tres bas, fouillant du regard le visage de Gorbovski. Mais qu’est-ce que t’as ? Toi, un commando ! Qu’est-ce que c’est que ces gestes ?

— Des gestes ? dit Gorbovski. Je n’en suis pas capable. Toi, vas-y. Tu es responsable d’eux tous jusqu’a la fin de l’operation. (Il se tourna vers les eleves des grandes classes.) Allez, en avant ! Tous a bord ! cria-t-il. Vas-y le premier, sinon tu ne passeras pas, dit-il a Pichta.

Pichta regarda, l’air abattu, les eleves des grandes classes qui s’avancaient en trainant vers la passerelle, il regarda la trappe d’ou emergeaient des visages d’enfants, colla un baiser maladroit sur la joue de Gorbovski, salua Marc et Dickson, se hissa sur la pointe des pieds et s’accrocha aux dispositifs de fixation. Gorbovski le poussa legerement. Les eleves des grandes classes, avec une importance et une lenteur affectees, commencerent a se propulser un par un dans le vaisseau, s’encourageant de « Eh ! remue-toi ! Rentre tes levres, sinon on marchera dessus ! Qui c’est qui pleure ? Haut les c?urs ! » La derniere a monter fut la fille au pantalon de sport. Elle s’arreta une seconde et se retourna, pleine d’espoir, vers Gorbovski, mais il se composa un visage de pierre.

— Vous voyez bien qu’il n’y a pas de place, dit-elle tout bas. Je ne rentre pas.

— Tu vas maigrir, promit Gorbovski et, la prenant par les epaules, il l’encastra doucement dans la foule. Et le film ? demanda-t-il a Dickson.

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