— Non, je ne te tromperai pas. Au moment du decollage, tu seras a cote de moi. Allez, passe-moi l’enfant.

Sans quitter son visage des yeux, elle poussa Aliocha vers Gorbovski comme dans un reve.

— Va, va, Aliocha, dit-elle. Va avec oncle Leonid.

— Ou ca ? demanda le garcon.

— A bord du vaisseau, dit Gorbovski, le prenant par la main. Ou veux-tu qu’on aille ? A bord de ce vaisseau. Chez ce gentil monsieur que tu vois la. Tu as envie d’aller avec lui ?

— Oui, je veux bien aller avec lui, declara le garcon. Il ne regardait plus sa mere.

Ensemble, ils s’approcherent de la passerelle que les derniers gamins etaient en train de gravir. Gorbovski dit a l’educateur :

— Inscrivez sur votre liste : Alexei Matveievitch Viazanitzine.

L’educateur regarda le garcon, puis Gorbovski, et, opinant, s’executa. A son tour, Gorbovski gravit lentement la passerelle et tira Alexei Matveievitch par la main, l’aidant a escalader le butoir.

— Ca s’appelle un sas, dit-il.

Le garcon retira sa main et, s’etant approche tout pres de Percy Dickson, se mit a le contempler. Gorbovski deposa dans un coin le tableau de Soord. « Quoi d’autre ? pensa-t-il. Ah oui ! » Il retourna vers la trappe et, se penchant, recut le dossier des mains de Malaiev.

— Merci, dit Malaiev, en souriant. Vous ne l’avez donc pas oublie  … Que le plasma vous soit propice.

Patrick souriait lui aussi. Tout en saluant, ils reculerent vers la foule. Genia se tenait directement sous la trappe et Gorbovski lui fit un signe de la main. Puis, s’adressant a Dickson :

— Tu as chaud ? demanda-t-il.

— Terriblement. Si je pouvais prendre une douche. Mais les douches sont remplies d’enfants.

— Libere les douches, dit Gorbovski.

— Facile a dire. (Dickson poussa un gros soupir et, avec une grimace, tira sur le col serre de sa veste.) La barbe se fourre dedans, marmonna-t-il. Ca pique, tu ne peux pas savoir. Tout le corps me gratte.

— M’sieu, dit Aliocha. Elle est vraie, ta barbe ?

— Tu peux tirer dessus, si tu veux, dit Percy, et il se pencha en soupirant.

Le garcon lui tira la barbe.

— De toute facon, elle est pas vraie, declara-t-il.

Gorbovski le prit par les epaules, mais Aliocha s’esquiva.

— Je ne veux pas etre avec toi, dit-il. Je veux etre avec le commandant.

— Voila qui est bien, dit Gorbovski. Percy, emmenez-le chez l’educateur.

Il fit un pas vers la porte qui menait au couloir.

— Ne vous evanouissez pas, dit Dickson dans son dos.

Gorbovski fit coulisser la porte. Oui, le vaisseau n’avait encore jamais connu chose pareille. Piaillements, rires, sifflements, gazouillements, roucoulements, grincements du metal contre le metal, miaulements et hurlements des bebes  … Partout, les odeurs irremplacables du lait, du miel, des medicaments, des corps echauffes des enfants, du savon, et ce en depit de l’air conditionne, en depit des ventilateurs de secours  … Gorbovski enfila le couloir, tout en regardant ou il mettait les pieds et en jetant, par les portes beantes, des coups d’?il craintifs dans les cabines ou gambadaient, dansaient, bercaient des poupees, visaient avec des fusils, lancaient des lassos, le tout dans un espace inimagi-nablement restreint, quarante garcons et fillettes entre deux et six ans qui se bousculaient et rampaient sur les tables, sous les tables, sur et sous les couchettes. Les educateurs preoccupes couraient d’une cabine a l’autre. Dans le carre des officiers d’ou on avait enleve presque tout les meubles, de jeunes meres nourrissaient et langeaient les nou-veaux-nes ; le meme endroit servait de creche : cinq bebes, se parlant en langage d’oiseau, rampaient dans un coin a part. Gorbovski s’imagina ce tableau en etat de non-pesanteur, ferma les yeux et passa dans le poste de pilotage.

Il ne le reconnut pas. Il etait vide. L’enorme appareil de controle, qui occupait en temps normal un tiers du local, avait disparu. Le tableau de bord, le fauteuil du copilote avaient disparu. Ainsi que l’ecran panoramique. Tout comme le fauteuil devant la calculatrice. La calculatrice elle-meme, a moitie demontee, brillait de ses blocs- schemas denudes. Le vaisseau n’etait plus une nef interstellaire. N’ayant garde que sa grande autonomie de vol, il s’etait transforme en une peniche automotrice interplanetaire ne pouvant desormais servir que pour des trajectoires en inertie.

Gorbovski enfonca les mains dans ses poches. Dickson sifflait dans son oreille.

— Bon, bon, dit Gorbovski. Et ou est Valkenstein ?

— Je suis la.

Valkenstein apparut du trefonds de la calculatrice. Il etait maussade, mais tres decide.

— Bravo, Marc, dit Gorbovski. Bravo a vous aussi, Percy. Merci !

— Pichta vous a demande trois fois deja, dit Marc qui plongea de nouveau dans la calculatrice. U est a la trappe de chargement.

Gorbovski traversa le poste de pilotage et entra dans la soute du fret. Son sang se glaca dans ses veines. Ici, dans un local long et exigu, faiblement eclaire par deux lampes a gaz, se tenaient debout, etroitement serres les uns contre les autres, des ecoliers, garcons et filles. Ils etaient silencieux, presque immobiles si ce n’est pour changer d’appui, et, par la trappe ouverte, Us fixaient un coin de ciel bleu et le toit blanc d’un entrepot lointain. Pendant quelques secondes, se mordillant les levres, Gorbovski observa les enfants.

— Transferez ceux de l’ecole maternelle dans le couloir, dit-il. Les primaires dans le poste de pilotage. Execution immediate.

— Ce n’est pas tout, prononca Dickson a voiy basse. Il y en a dix qui sont restes bloques quelque part sur la route de L’Enfance  … Du reste, il semblerait qu’ils aient peri. Quelques eleves des grandes classes refusent d’embarquer. Et il y a encore un groupe d’enfants exterieurs qui viennent juste d’arriver. Au demeurant, vous verrez tout cela vous-meme.

— Faites neanmoins ce que j’ai dit, repeta Gorbovski. Les trois premieres annees dans le couloir et dans le poste de pilotage. Ici, vous donnerez de la lumiere, vous placerez un ecran et vous projetterez des films. Des films historiques. Qu’ils voient comment c’etait avant. Allons-y, Percy. Ah ! encore une chose : alignez les enfants en file indienne jusqu’a Valkenstein : qu’ils se passent les pieces detachees, ca les occupera un peu.

Il se fraya difficilement un chemin vers la trappe et descendit la passerelle en courant. En bas se tenait un grand groupe d’enfants de tous les ages entoures par les educateurs. A leur gauche trainaient, en un tas desordonne, les objets les plus precieux de la culture materielle de l’Arc-en-ciel : piles de documents, appareils et prototypes d’appareils, sculptures enveloppees dans du tissu, peintures roulees. A droite, une vingtaine de pas plus loin, se tenaient des jeunes gens et des jeunes filles maussades de quinze et seize ans ; Stanislav Pichta, tres serieux, deambulait devant eux, bras croises dans le dos, tete baissee. Il disait d’une voix basse mais nette :

—  … Considerez cela comme un examen. Pensez moins a vous et davantage aux autres. Vous avez honte, et alors ? Reprenez-vous en main, surmontez ce sentiment !

Les autres se taisaient, obstines. Comme se taisaient, accables, les adultes rassembles devant la trappe de chargement. Quelques jeunes gens jetaient des coups d’?il furtifs en arriere, et on comprenait qu’ils auraient aime s’enfuir ; mais c’etait impossible : autour, se trouvaient leurs peres et leurs meres. Gorbovski regarda la trappe. Meme d’ici on voyait que le vaisseau etait plein a craquer. Dans l’ouverture on apercevait les enfants alignes, serres les uns contre les autres. Leurs visages n’avaient rien d’enfantin : Us etaient trop serieux et trop melancoliques.

Un jeune homme immense, tres beau, aux yeux tristes et suppliants qui juraient d’une facon revoltante avec son aspect, s’approcha de Gorbovski.

— Un mot, commandant, prononca-t-U d’une voix tremblante. Juste un mot  …

— Attendez une minute, dit Gorbovski.

Il rejoignit Pichta et le prit par les epaules.

— Il y aura assez de place pour tout le monde, disait Pichta. Ne vous inquietez pas  …

— Stanislav, dit Gorbovski, donne l’ordre d’embarquer a ceux qui restent.

— Mais U n’y a pas de place, protesta Pichta, tres illogique. Nous t’attendions justement. Il faudra deblayer la chambre-D de reserve.

— Le Tariel ne possede pas de chambre-D de reserve. Mais tu auras de la place. Execution.

Gorbovski se retrouva face a face avec les eleves des grandes classes.

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