— Tout est calcule, repondit Percy d’un air important. Le film commencera au moment du decollage. Les enfants aiment les surprises :

— Pichta ! cria Gorbovski. Tu es pret ?

— Oui, repliqua la voix sonore de Pichta.

— Decolle, Pichta ! Que le plasma vous soit propice ! Ferme les trappes ! Garcons et filles, je vous souhaite un plasma propice !

La lourde plaque de la trappe surgit silencieusement de la rainure. Faisant les gestes d’adieu, Gorbovski s’ecarta du butoir. Soudain, il se souvint :

— He ! cria-t-il. Et la lettre !

La lettre n’etait pas dans sa poche de poitrine, ni dans sa poche laterale. La trappe se refermait. Il finit par la retrouver, curieusement, dans la poche interieure. Gorbovski la fourra dans la main de la fille au pantalon de survetement et retira prestement son bras. La trappe se ferma. Sans savoir pourquoi, Gorbovski caressa le metal bleuatre, et descendit sans regarder personne. Dickson et Marc eloignerent la passerelle. Il ne restait que tres peu de monde autour du vaisseau ; en revanche, des dizaines d’helicopteres et de flyers tournaient au-dessus de lui.

Gorbovski evita la montagne de valeurs materielles, trebucha contre le buste de quelqu’un et se dirigea vers la trappe des passagers ou devait l’attendre Genia Viazanitzina. Pourvu que Matvei arrive, pensa-t-il, angoisse. Il se sentait oppresse, desseche, et il se rejouit de tout son c?ur en voyant Matvei qui marchait a sa rencontre. Mais il etait seul.

— Ou est Genia ? demanda Gorbovski.

Matvei s’arreta et regarda tout autour. Genia n’etait nulle part.

— Elle devrait etre ici, dit-il. J’ai parle avec elle par radiophone. Quoi, les trappes sont deja fermees ? continuait-il en regardant alentour.

— Oui, ils vont decoller, dit Gorbovski.

Lui aussi, regardait partout. « Peut-etre, est-elle dans un helicoptere », pensa-t-il. Mais il savait deja que c’etait faux.

— C’est bizarre que Genia ne soit pas la, dit Matvei.

— Il est possible qu’elle soit dans un des helicopteres, dit Gorbovski.

Et soudain, il comprit ou elle etait. « Ah ! celle-la alors ! » pensa-t-il.

— Je n’aurai donc pas vu Aliocha, dit Matvei.

Un son etrange, ample, semblable a un soupir convulsif, retentit au-dessus du cosmodrome. L’enorme masse bleue du vaisseau se detacha sans bruit du sol et amorca une lente ascension. « C’est la premiere fois de ma vie que je vois l’envol de mon navire », pensa Gorbovski. Matvei accompagnait toujours le vaisseau des yeux et soudain, comme pique par un serpent, il se tourna vers Gorbovski et le fixa avec stupeur.

— Attends  …, marmonna-t-il. Mais comment ca ?  … Pourquoi es-tu ici ? Et le vaisseau ?

— Pichta est la, dit Gorbovski.

Les yeux de Matvei se figerent.

— La voila, murmura-t-il.

Gorbovski suivit son regard. Une bande lisse et eblouissante s’elevait au-dessus de l’horizon.

CHAPITRE X

Aux approches de la Capitale, Gorbovski demanda a s’arreter. Dickson freina, le regarda d’un air expectatif.

— Je vais aller a pied, dit Gorbovski.

Il sortit. Aussitot, il fut suivi par Marc ; puis il tendit la main et aida Alia Postacheva a descendre. Tout le long du trajet depuis le cosmodrome, le couple assis sur le siege arriere, s’etait tu. Tous deux se tenaient par la main, tres fort, comme des enfants, et Alia, les yeux fermes, enfouissait son visage dans l’epaule de Marc.

— Venez avec moi, Percy, dit Gorbovski. Nous allons cueillir des fleurs, la chaleur est tombee. Ce sera tres profitable pour votre c?ur.

Dickson secoua sa tete ebouriffee.

— Non, Leonid, fit-il. Disons-nous plutot adieu.

Je reprends la route.

Le soleil qui pendait juste au-dessus de l’horizon — il faisait frais — paraissait eclairer un couloir auy murs noirs ; les deux Vagues — celle du nord et celle du sud — se dressaient deja haut dans le ciel.

— Je vais rouler dans ce couloir, dit Dickson. Droit devant moi. Adieu, Leonid, adieu Marc. Toi aussi, petite, adieu. Allez  … Mais avant, pour la derniere fois, je vais essayer de deviner ce que vous allez faire. A present, c’est particulierement simple.

— Oui, c’est simple, dit Marc. Adieu, Percy. Viens, ma cherie.

Avec un bref sourire, il jeta un coup d’?il sur Gorbovski, entoura de son bras les epaules d’Alia, et ils s’en furent dans la steppe. Gorbovski et Dickson les regarderent s’eloigner.

— Un peu trop tard, dit Dickson.

— Oui, confirma Gorbovski. Mais quand meme, je les envie.

— Vous aimez envier. Et votre envie est tellement contagieuse, Leonid ! Voyez-vous, moi aussi, j’eprouve ce sentiment. Je l’envie parce que quelqu’un pensera a lui dans ses dernieres minutes, tandis que moi  … Au fait, vous aussi, Leonid, personne ne pensera a vous.

— Voulez-vous que moi, je pense a vous ? demanda serieusement Gorbovski.

— Non, ca n’en vaut pas la peine. (Dickson, plissant les paupieres, regarda le soleil couchant.) Oui, dit-il. Ce coup-ci, a ce qu’il semble, on ne s’en sortira pas. Adieu, Leonid !

Il salua et partit, et Gorbovski se mit a marcher lentement sur la chaussee a cote d’autres gens qui se dirigeaient tout aussi lentement vers la ville. Pour la premiere fois au cours de cette journee folle, tendue et terrifiante, il se sentait tres leger et tres calme. Il ne lui fallait prendre soin de personne, il ne lui fallait plus rien decider ; tous ceux qu’il voyait etaient leurs propres maitres et lui aussi. Il n’appartenait desormais qu’a lui-meme ; il n’avait jamais ete aussi independant de sa vie.

La soiree etait belle et, sans ces murs noirs a droite et a gauche qui poussaient lentement dans le ciel bleu, elle aurait ete tout simplement splendide : douce, limpide, avec juste ce qu’il fallait de fraicheur, percee par les rayons rosatres du soleil. Il restait de moins en moins de gens sur la chaussee ; plusieurs etaient partis dans la steppe comme Valkenstein et Alia, d’autres s’etaient arretes sur les bords du chemin.

Le long de la rue principale de la ville s’etalaient, de toute beaute, les taches multicolores des tableaux exposes par leurs peintres pour la derniere fois : pres des arbres, des murs de maisons, des poteaux de transmission energetique. Devant les tableaux se tenaient des gens, ils s’abandonnaient a leurs souvenirs, ils se rejouissaient doucement ; un homme — inlassable — provoqua une discussion, tandis qu’une femme mince et jolie pleurait a chaudes larmes, repetant a haute voix : « C’est dommage  … Oh ! que c’est dommage ! » Gorbovski se dit qu’il l’avait deja vue quelque part, mais ne reussit pas a se rappeler ou.

Une musique inconnue se faisait entendre : dans le cafe ouvert a cote de l’edifice du Conseil, un homme tout petit, malingre, etait en train de jouer de la choriole avec une passion et une fougue extraordinaires. Les gens attables l’ecoutaient sans bouger, d’autres l’ecoutaient assis sur les marches ou sur les pelouses devant le cafe. Sur la choriole etait fixe un grand carre de carton portant une inscription malhabile : « Arc-en-ciel lointain. » Chanson. Pas term.

Autour de la mine, il y avait foule et tous etaient occupes. L’enorme dome du caisson en cours de construction lancait des reflets opaques. Une file de physiciens-zero sortait du theatre, trainant des dossiers, des paquets, des piles de boi*es. Gorbovski pensa immediatement au dossier transmis par Malaiev. Il tacha de se rappeler ou il l’avait mis. Il lui sembla l’avoir laisse dans le poste de pilotage. Ou dans le sas ? Pas d’effort de memoire. Aucune importance. Il fallait etre totalement insouciant. Etrange, ces physiciens seraient donc encore en train d’esperer quelque chose ? Il est vrai qu’on peut toujours esperer un miracle. Mais ce qui est drole, c’est que ce miracle etait attendu par les gens les plus sceptiques et les plus logiques de la planete.

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